Le Petit Nicolas, #3
Sempé (et Goscinny) Le Petit Nicolas Tome 3 Les vacances du petit Nicolas (1962)
Une studieuse année scolaire s’est terminée. Nicolas a
remporté le prix d’éloquence, qui récompense chez lui la quantité, sinon la
qualité, et il a quitté ses condisciples qui ont nom : Alceste, Rufus,
Eudes, Geoffroy, Maixent, Joachim, Clotaire et Agnan. Les livres et les cahiers
sont rangés, et c’est aux vacances qu’il s’agit de penser maintenant.
Et chez Nicolas, le choix de l’endroit où l’on va passer
ces vacances n’est pas un problème, car...
C’est papa qui décide
Tous les ans, c’est-à-dire le dernier et l’autre, parce
qu’avant c’est trop vieux et je ne me rappelle pas, Papa et Maman se disputent
beaucoup pour savoir où aller en vacances, et puis Maman se met à pleurer et
elle dit qu’elle va aller chez sa maman, et moi je pleure aussi parce que
j’aime bien Mémé, mais chez elle il n’y a pas de plage, et à la fin on va où
veut Maman et ce n’est pas chez Mémé.
Hier, après le dîner, Papa nous a regardés, l’air fâché et
il a dit :
— Écoutez-moi bien ! Cette année, je ne veux pas
de discussions, c’est moi qui décide. Nous irons dans le Midi. J’ai l’adresse
d’une villa à louer à Plage-les-Pins. Trois pièces, eau courante, électricité.
Je ne veux rien savoir pour aller à l’hôtel et manger de la nourriture minable.
— Eh bien, mon chéri, a dit Maman, ça me paraît une
très bonne idée.
— Chic ! j’ai dit et je me suis mis à courir
autour de la table parce que quand on est content, c’est dur de rester assis.
Papa, il a ouvert des grands yeux, comme il fait quand il
est étonné, et il a dit : « Ah ? Bon. »
Pendant que Maman débarrassait la table, Papa est allé
chercher son masque de pêche sous-marine dans le placard.
— Tu vas voir, Nicolas, m’a dit Papa, nous allons faire
des parties de pêche terribles, tous les deux.
Moi, ça m’a fait un peu peur, parce que je ne sais pas
encore très bien nager ; si on me met bien sur l’eau je fais la planche,
mais Papa m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’il allait m’apprendre à nager et
qu’il avait été champion inter-régional de nage libre quand il était plus
jeune, et qu’il pourrait encore battre des records s’il avait le temps de
s’entraîner.
— Papa va m’apprendre à faire de la pêche
sous-marine ! j’ai dit à Maman quand elle est revenue de la cuisine.
— C’est très bien, mon chéri, m’a répondu Maman, bien
qu’en Méditerranée il paraît qu’il n’y a plus beaucoup de poissons. Il y a trop
de pêcheurs.
— C’est pas vrai ! a dit Papa ; mais Maman
lui a demandé de ne pas la contredire devant le petit et que si elle disait ça,
c’est parce qu’elle l’avait lu dans un journal ; et puis elle s’est mise à
son tricot, un tricot qu’elle a commencé ça fait des tas de jours.
— Mais alors, j’ai dit à Papa, on va avoir l’air de
deux guignols sous l’eau, s’il n’y a pas de poissons !
Papa est allé remettre le masque dans le placard sans rien
dire. Moi, j’étais pas tellement content : c’est vrai, chaque fois qu’on
va à la pêche avec Papa c’est la même chose, on ne ramène rien. Papa est revenu
et puis il a pris son journal.
— Et alors, j’ai dit, des poissons pour la pêche
sous-marine, il y en a où ?
— Demande à ta mère, m’a répondu Papa, c’est une
experte.
— Il y en a dans l’Atlantique, mon chéri, m’a dit
Maman.
Moi, j’ai demandé si l’Atlantique c’était loin de là où nous
allions, mais Papa m’a dit que si j’étudiais un peu mieux à l’école, je ne
poserais pas de questions comme ça et ce n’est pas très juste, parce qu’à
l’école on n’a pas de classes de pêche sous-marine ; mais je n’ai rien
dit, j’ai vu que Papa n’avait pas trop envie de parler.
— Il faudra faire la liste des choses à emporter, a dit
Maman.
— Ah ! non ! a crié Papa. Cette année, nous
n’allons pas partir déguisés en camion de déménagement. Des slips de bain, des
shorts, des vêtements simples, quelques lainages...
— Et puis des casseroles, la cafetière électrique, la
couverture rouge et un peu de vaisselle, a dit Maman.
Papa, il s’est levé d’un coup, tout fâché, il a ouvert la
bouche, mais il n’a pas pu parler, parce que Maman l’a fait à sa place.
— Tu sais bien, a dit Maman, ce que nous ont raconté
les Blédurt quand ils ont loué une villa l’année dernière. Pour toute
vaisselle, il y avait trois assiettes ébréchées et à la cuisine deux petites
casseroles dont une avait un trou au fond. Ils ont dû acheter sur place à prix
d’or ce dont ils avaient besoin.
— Blédurt ne sait pas se débrouiller, a dit Papa. Et il
s’est rassis.
— Possible, a dit Maman, mais si tu veux une soupe de
poisson, je ne peux pas la faire dans une casserole trouée, même si on arrive à
se procurer du poisson.
Alors, moi je me suis mis à pleurer, parce que c’est vrai
ça, c’est pas drôle d’aller à une mer où il n’y a pas de poissons, alors que
pas loin il y a les Atlantiques où c’en est plein. Maman a laissé son tricot,
elle m’a pris dans ses bras et elle m’a dit qu’il ne fallait pas être triste à
cause des vilains poissons et que je serai bien content tous les matins quand
je verrai la mer de la fenêtre de ma jolie chambre.
— C’est-à-dire, a expliqué Papa, que la mer on ne la
voit pas de la villa. Mais elle n’est pas très loin, à deux kilomètres. C’est
la dernière villa qui restait à louer à Plage-les-Pins.
— Mais bien sûr, mon chéri, a dit Maman. Et puis elle
m’a embrassé et je suis allé jouer sur le tapis avec les deux billes que j’ai
gagnées à Eudes à l’école.
— Et la plage, c’est des galets ? a demandé Maman.
— Non, madame ! Pas du tout ! a crié Papa
tout content. C’est une plage de sable ! De sable très fin ! On ne
trouve pas un seul galet sur cette plage !
— Tant mieux, a dit Maman ; comme ça, Nicolas ne
passera pas son temps à faire ricocher des galets sur l’eau. Depuis que tu lui
as appris à faire ça, c’est une véritable passion chez lui.
Et moi j’ai recommencé à pleurer, parce que c’est vrai que
c’est chouette de faire ricocher des galets sur l’eau ; j’arrive à les
faire sauter jusqu’à quatre fois, et ce n’est pas juste, à la fin, d’aller dans
cette vieille villa avec des casseroles trouées, loin de la mer, là où il n’y a
ni galets ni poissons.
— Je vais chez Mémé ! j’ai crié, et j’ai donné un
coup de pied à une des billes d’Eudes.
Maman m’a pris de nouveau dans ses bras et elle m’a dit de
ne pas pleurer, que Papa était celui qui avait le plus besoin de vacances dans
la famille et que même si c’était moche là où il voulait aller, il fallait y
aller en faisant semblant d’être contents.
— Mais, mais, mais..., a dit Papa.
— Moi je veux faire des ricochets ! j’ai crié.
— Tu en feras peut-être l’année prochaine, m’a dit
Maman, si Papa décide de nous emmener à Bains-les-Mers.
— Où ça ? a demandé Papa, qui est resté avec la
bouche ouverte.
— À Bains-les-Mers, a dit Maman, en Bretagne, là où il
y a l’Atlantique, beaucoup de poissons et un gentil petit hôtel qui donne sur
une plage de sable et de galets.
— Moi je veux aller à Bains-les-Mers ! j’ai crié.
Moi je veux aller à Bains-les-Mers !
— Mais, mon chéri, a dit Maman, il faut être
raisonnable, c’est Papa qui décide.
Papa s’est passé la main sur la figure, il a poussé un gros
soupir et il a dit :
— Bon, ça va ! j’ai compris. Il s’appelle comment
ton hôtel ?
— Beau-Rivage, mon chéri, a dit Maman.
Papa a dit que bon, qu’il allait écrire pour voir s’il
restait encore des chambres.
— Ce n’est pas la peine, mon chéri, a dit Maman, c’est
déjà fait. Nous avons la chambre 29, face à la mer, avec salle de bains.
Et Maman a demandé à Papa de ne pas bouger parce qu’elle
voulait voir si la longueur du pull-over qu’elle tricotait était bien. Il
paraît que les nuits en Bretagne sont un peu fraîches.
La plage, c’est chouette
Le père de Nicolas ayant pris sa décision, il ne restait
plus qu’à ranger la maison, mettre les housses, enlever les tapis, décrocher
les rideaux, faire les bagages, sans oublier d’emporter les œufs durs et les
bananes pour manger dans le compartiment.
Le voyage en train s’est très bien passé, même si la mère
de Nicolas s’est entendu reprocher d’avoir mis le sel pour les œufs durs dans
la malle marron qui est dans le fourgon. Et c’est l’arrivée à Bains-les-Mers, à
l’hôtel Beau-Rivage. La plage est là, et les vacances peuvent commencer...
À la plage, on rigole bien. Je me suis fait des tas de
copains, il y a Blaise, et puis Fructueux, et Mamert; qu’il est bête
celui-là ! Et Irénée et Fabrice et Côme et puis Yves, qui n’est pas en
vacances parce qu’il est du pays et on joue ensemble, on se dispute, on ne se
parle plus et c’est drôlement chouette.
« Va jouer gentiment avec tes petits camarades, m’a dit
papa ce matin, moi je vais me reposer et prendre un bain de soleil. » Et
puis, il a commencé à se mettre de l’huile partout et il rigolait en
disant : « Ah ! quand je pense aux copains qui sont restés au
bureau ! »
Nous, on a commencé à jouer avec le ballon d’Irénée.
« Allez jouer plus loin », a dit papa, qui avait fini de se huiler,
et bing ! le ballon est tombé sur la tête de papa. Ça, ça ne lui a pas plu
à papa. Il s’est fâché tout plein et il a donné un gros coup de pied dans le
ballon, qui est allé tomber dans l’eau, très loin. Un shoot terrible.
« C’est vrai ça, à la fin », a dit papa. Irénée est parti en courant
et il est revenu avec son papa. Il est drôlement grand et gros le papa
d’Irénée, et il n’avait pas l’air content.
— C’est lui ! a dit Irénée en montrant papa avec
le doigt.
— C’est vous, a dit le papa d’Irénée à mon papa, qui
avez jeté dans l’eau le ballon du petit ?
— Ben oui, a répondu mon papa au papa d’Irénée, mais ce
ballon, je l’avais reçu dans la figure.
— Les enfants, c’est sur la plage pour se détendre, a
dit le papa d’Irénée, si ça ne vous plaît pas, restez chez vous. En attendant,
ce ballon, il faut aller le chercher.
— Ne fais pas attention, a dit maman à papa. Mais papa
a préféré faire attention.
— Bon, bon, il a dit, je vais aller le chercher, ce
fameux ballon.
— Oui, a dit le papa d’Irénée, moi à votre place
j’irais aussi.
Papa, ça lui a pris du temps de chercher le ballon, que le
vent avait poussé très loin. Il avait l’air fatigué, papa, quand il a rendu le
ballon à Irénée et il nous a dit :
— Écoutez, les enfants, je veux me reposer tranquille.
Alors, au lieu de jouer au ballon, pourquoi ne jouez-vous pas à autre
chose ?
— Ben, à quoi par exemple, hein, dites ? a demandé
Mamert. Qu’il est bête celui-là !
— Je ne sais pas, moi, a répondu papa, faites des trous,
c’est amusant de faire des trous dans le sable. Nous, on a trouvé que c’était
une idée terrible et on a pris nos pelles pendant que papa a voulu commencer à
se re-huiler, mais il n’a pas pu, parce qu’il n’y avait plus d’huile dans la
bouteille. « Je vais aller en acheter au magasin, au bout de la
promenade », a dit papa, et maman lui a demandé pourquoi il ne restait pas
un peu tranquille.
On a commencé à faire un trou. Un drôle de trou, gros et
profond comme tout. Quand papa est revenu avec sa bouteille d’huile, je l’ai
appelé et je lui ai dit :
— T’as vu notre trou, papa ?
— Il est très joli, mon chéri, a dit papa, et il a
essayé de déboucher sa bouteille d’huile avec ses dents. Et puis, est venu un
monsieur avec une casquette blanche et il nous a demandé qui nous avait permis
de faire ce trou dans sa plage. « C’est lui, m’sieur ! » ont dit
tous mes copains en montrant papa. Moi j’étais très fier, parce que je croyais
que le monsieur à la casquette allait féliciter papa. Mais le monsieur n’avait
pas l’air content.
— Vous n’êtes pas un peu fou, non, de donner des idées
comme ça aux gosses ? a demandé le monsieur. Papa, qui travaillait
toujours à déboucher sa bouteille d’huile, a dit : « Et
alors ? » Et alors, le monsieur à la casquette s’est mis à crier que
c’était incroyable ce que les gens étaient inconscients, qu’on pouvait se
casser une jambe en tombant dans le trou, et qu’à marée haute, les gens qui ne
savaient pas nager perdraient pied et se noieraient dans le trou, et que le
sable pouvait s’écrouler et qu’un de nous risquait de rester dans le trou, et
qu’il pouvait se passer des tas de choses terribles dans le trou et qu’il
fallait absolument reboucher le trou.
— Bon, a dit papa, rebouchez le trou, les enfants. Mais
les copains ne voulaient pas reboucher le trou.
— Un trou, a dit Côme, c’est amusant à creuser, mais
c’est embêtant à reboucher.
— Allez, on va se baigner ! a dit Fabrice. Et ils
sont tous partis en courant. Moi je suis resté, parce que j’ai vu que papa
avait l’air d’avoir des ennuis.
— Les enfants ! Les enfants ! il a crié papa,
mais le monsieur à la casquette a dit :
— Laissez les enfants tranquilles et rebouchez-moi ce
trou en vitesse ! Et il est parti.
Papa a poussé un gros soupir et il m’a aidé à reboucher le
trou. Comme on n’avait qu’une seule petite pelle, ça a pris du temps et on
avait à peine fini que maman a dit qu’il était l’heure de rentrer à l’hôtel
pour déjeuner, et qu’il fallait se dépêcher, parce que, quand on est en retard,
on ne vous sert pas, à l’hôtel. « Ramasse tes affaires, ta pelle, ton seau
et viens », m’a dit maman. Moi j’ai pris mes affaires, mais je n’ai pas
trouvé mon seau. « Ça ne fait rien, rentrons », a dit papa. Mais moi,
je me suis mis à pleurer plus fort.
Un chouette seau, jaune et rouge, et qui faisait des pâtés
terribles. « Ne nous énervons pas, a dit papa, où l’as-tu mis, ce
seau ? » J’ai dit qu’il était peut-être au fond du trou, celui qu’on
venait de boucher. Papa m’a regardé comme s’il voulait me donner une fessée,
alors je me suis mis à pleurer plus fort et papa a dit que bon, qu’il allait le
chercher le seau, mais que je ne lui casse plus les oreilles. Mon papa, c’est
le plus gentil de tous les papas ! Comme nous n’avions toujours que la
petite pelle pour les deux, je n’ai pas pu aider papa et je le regardais faire
quand on a entendu une grosse voix derrière nous : « Est-ce que vous
vous fichez de moi ? » Papa a poussé un cri, nous nous sommes
retournés et nous avons vu le monsieur à la casquette blanche. « Je crois
me souvenir que je vous avais interdit de faire des trous », a dit le
monsieur. Papa lui a expliqué qu’il cherchait mon seau. Alors, le monsieur lui
a dit que d’accord, mais à condition qu’il rebouche le trou après. Et il est
resté là pour surveiller papa.
« Écoute, a dit maman à papa, je rentre à l’hôtel avec
Nicolas. Tu nous rejoindras dès que tu auras retrouvé le seau. » Et nous
sommes partis. Papa est arrivé très tard à l’hôtel, il était fatigué, il
n’avait pas faim et il est allé se coucher. Le seau, il ne l’avait pas trouvé,
mais ce n’est pas grave, parce que je me suis aperçu que je l’avais laissé dans
ma chambre. L’après-midi, il a fallu appeler un docteur, à cause des brûlures
de papa. Le docteur a dit à papa qu’il devait rester couché pendant deux jours.
— On n’a pas idée de s’exposer comme ça au soleil, a
dit le docteur, sans se mettre de l’huile sur le corps.
— Ah ! a dit papa, quand je pense aux copains qui
sont restés au bureau !
Mais il ne rigolait plus du tout en disant ça.
Malheureusement, il arrive parfois en Bretagne que le soleil
aille faire un petit tour sur la Côte d’Azur. C’est pour cela que le patron de
l’hôtel Beau-Rivage surveille avec inquiétude son baromètre, qui mesure la
pression atmosphérique de ses pensionnaires...
Le boute-en-train
Nous on est en vacances dans un hôtel, et il y a la plage et
la mer et c’est drôlement chouette, sauf aujourd’hui où il pleut et ce n’est
pas rigolo, c’est vrai ça, à la fin. Ce qui est embêtant, quand il pleut, c’est
que les grands ne savent pas nous tenir et nous on est insupportables et ça
fait des histoires. J’ai des tas de copains à l’hôtel, il y a Blaise, et
Fructueux, et Mamert, qu’il est bête celui-là ! et Irénée, qui a un papa
grand et fort, et Fabrice, et puis Côme. Ils sont chouettes, mais ils ne sont
pas toujours très sages. Pendant le déjeuner, comme c’était mercredi il y avait
des raviolis et des escalopes, sauf pour le papa et la maman de Côme qui
prennent toujours des suppléments et qui ont eu des langoustines, moi j’ai dit
que je voulais aller à la plage. « Tu vois bien qu’il pleut, m’a répondu
papa, ne me casse pas les oreilles. Tu joueras dans l’hôtel avec tes petits
camarades. » Moi, j’ai dit que je voulais bien jouer avec mes petits
camarades, mais à la plage, alors papa m’a demandé si je voulais une fessée devant
tout le monde et comme je ne voulais pas, je me suis mis à pleurer.
A la table de Fructueux, ça pleurait dur aussi et puis la
maman de Blaise a dit au papa de Blaise que c’était une drôle d’idée qu’il
avait eue de venir passer ses vacances dans un endroit où il pleuvait tout le
temps et le papa de Blaise s’est mis à crier que ce n’était pas lui qui avait
eu cette idée, que la dernière idée qu’il avait eue dans sa vie, c’était celle
de se marier. Maman a dit à papa qu’il ne fallait pas faire pleurer le petit,
papa a crié qu’on commençait à lui chauffer les oreilles et Irénée a fait
tomber par terre sa crème renversée et son papa lui a donné une gifle. Il y
avait un drôle de bruit dans la salle à manger et le patron de l’hôtel est
venu, il a dit qu’on allait servir le café dans le salon, qu’il allait mettre
des disques et qu’il avait entendu à la radio que demain il allait faire un
soleil terrible.
Et dans le salon, M. Lanternau a dit : « Moi,
je vais m’occuper des gosses ! » M. Lanternau est un monsieur
très gentil, qui aime bien rigoler très fort et se faire ami avec tout le
monde. Il donne des tas de claques sur les épaules des gens et papa n’a pas
tellement aimé ça, mais c’est parce qu’il avait un gros coup de soleil quand M. Lanternau
lui a donné sa claque. Le soir où M. Lanternau s’est déguisé avec un
rideau et un abat-jour, le patron de l’hôtel a expliqué à papa que M. Lanternau
était un vrai boute-en-train. « Moi, il ne me fait pas rigoler », a
répondu papa, et il est allé se coucher.
Mme Lanternau, qui est en vacances avec M. Lanternau,
elle ne dit jamais rien, elle a l’air un peu fatiguée.
M. Lanternau s’est mis debout, il a levé un bras et il a
crié :
— Les gosses ! A mon commandement ! Tous
derrière moi en colonne par un ! Prêts ? Direction la salle à manger,
en avant, marche ! Une deux, une deux, une deux ! Et M. Lanternau
est parti dans la salle à manger, d’où il est ressorti tout de suite, pas
tellement content. Et alors, il a demandé, pourquoi ne m’avez-vous pas
suivi ?
— Parce que nous, a dit Mamert (qu’il est bête,
celui-là !), on veut aller jouer sur la plage.
— Mais non, mais non, a dit M. Lanternau, il faut
être fou pour vouloir aller se faire tremper par la pluie sur la plage !
Venez avec moi, on va s’amuser bien mieux que sur la plage. Vous verrez, après,
vous voudrez qu’il pleuve tout le temps ! Et M. Lanternau s’est mis à
faire des gros rires.
— On y va ? j’ai demandé à Irénée.
— Bof, a répondu Irénée, et puis on y est allé avec les
autres.
Dans la salle à manger, M. Lanternau a écarté les tables
et les chaises et il a dit qu’on allait jouer à colin-maillard. « Qui s’y
colle ? » a demandé M. Lanternau et nous on lui a dit que
c’était lui qui s’y collait, alors, il a dit bon et il a demandé qu’on lui
bande les yeux avec un mouchoir et quand il a vu nos mouchoirs, il a préféré
prendre le sien. Après ça, il a mis les bras devant lui et il criait :
« Hou, je vous attrape ! Je vous attrape, houhou ! » et il
faisait des tas de gros rires.
Moi, je suis terrible aux dames, c’est pour ça que ça m’a
fait rigoler quand Blaise a dit qu’il pouvait battre n’importe qui aux dames,
qu’il était champion. Blaise, ça ne lui a pas plu que je rigole et il m’a dit
que puisque j’étais si malin, on allait voir, et nous sommes allés dans le
salon pour demander le jeu de dames au patron de l’hôtel et les autres nous ont
suivis pour savoir qui était le plus fort. Mais le patron de l’hôtel n’a pas
voulu nous prêter les dames, il a dit que le jeu était pour les grandes
personnes et qu’on allait lui perdre des pions. On était là tous à discuter,
quand on a entendu une grosse voix derrière nous : « Ça vaut pas de
sortir de la salle à manger ! » C’était M. Lanternau qui venait
nous chercher et qui nous avait trouvés parce qu’il n’avait plus les yeux
bandés. Il était tout rouge et sa voix tremblait un peu, comme celle de papa,
la fois où il m’a vu en train de faire des bulles de savon avec sa nouvelle
pipe.
— Bien, a dit M. Lanternau, puisque vos parents
sont partis faire la sieste, nous allons rester dans le salon et nous amuser gentiment.
Je connais un jeu formidable, on prend tous du papier et un crayon, et moi je
dis une lettre et il faut écrire cinq noms de pays, cinq noms d’animaux et cinq
noms de villes. Celui qui perd, il aura un gage.
M. Lanternau est allé chercher du papier et des crayons et
nous, nous sommes allés dans la salle à manger jouer à l’autobus avec les
chaises. Quand M. Lanternau est venu nous chercher, je crois qu’il était
un peu fâché. « Au salon, tous ! il a dit.
— Nous allons commencer par la lettre « A »,
a dit M. Lanternau. Au travail ! et il s’est mis à écrire drôlement
vite.
— La mine de mon crayon s’est cassée, c’est pas
juste ! a dit Fructueux et Fabrice a crié :
— M’sieu ! Côme copie !
— C’est pas vrai, sale menteur ! a répondu Côme et
Fabrice lui a donné une gifle. Côme, il est resté un peu étonné et puis il a
commencé à donner des coups de pied à Fabrice, et puis Fructueux a voulu
prendre mon crayon juste quand j’allais écrire “Autriche” et je lui ai donné un
coup de poing sur le nez, alors Fructueux a fermé les yeux et il a donné des
claques partout et Irénée en a reçu une et puis Mamert demandait en
criant : « Eh, les gars ! Asnières, c’est un pays ? »
On faisait tous un drôle de bruit et c’était chouette comme une récré, quand,
bing ! il y a un cendrier qui est tombé par terre. Alors le patron de
l’hôtel est venu en courant, il s’est mis à crier et à nous gronder et nos
papas et nos mamans sont venus dans le salon et ils se sont disputés avec nous
et avec le patron de l’hôtel. M. Lanternau, lui, il était parti.
C’est Mme Lanternau qui l’a retrouvé le soir, à l’heure du
dîner. Il paraît que M. Lanternau avait passé l’après-midi à se faire
tremper par la pluie, assis sur la plage.
Et c’est vrai que M. Lanternau est un drôle de
boute-en-train, parce que papa, quand il l’a vu revenir à l’hôtel, il a
tellement rigolé, qu’il n’a pas pu manger. Et pourtant, le mercredi soir, c’est
de la soupe au poisson !
De l’hôtel Beau-Rivage, on a vue sur la mer, quand on se
met debout sur le bord de la baignoire, et il faut faire attention de ne pas
glisser. Quand il fait beau, et si on n’a pas glissé, on distingue très
nettement la mystérieuse île des Embruns, où, d’après une brochure éditée par
le Syndicat d’Initiative, le Masque de Fer a failli être emprisonné. On peut
visiter le cachot qu’il aurait occupé, et acheter des souvenirs à la buvette.
L’île des Embruns
C’est chic, parce qu’on va faire une excursion en bateau. M.
et Mme Lanternau viennent avec nous, et ça, ça n’a pas tellement plu à papa qui
n’aime pas beaucoup M. Lanternau, je crois. Et je ne comprends pas
pourquoi. M. Lanternau, qui passe ses vacances dans le même hôtel que
nous, est très drôle et il essaie toujours d’amuser les gens. Hier, il est venu
dans la salle à manger avec un faux nez et une grosse moustache et il a dit au
patron de l’hôtel que le poisson n’était pas frais. Moi, ça m’a fait drôlement
rigoler. C’est quand maman a dit à Mme Lanternau que nous allions en excursion
à l’île des Embruns, que M. Lanternau a dit : « Excellente idée,
nous irons avec vous, comme ça, vous ne risquerez pas de vous
ennuyer ! » et après, papa a dit à maman que ce n’était pas malin ce
qu’elle avait fait et que ce boute-en-train à la manque allait nous gâcher la
promenade.
Nous sommes partis de l’hôtel le matin, avec un panier de
pique-nique plein d’escalopes froides, de sandwiches, d’œufs durs, de bananes
et de cidre. C’était chouette. Et puis M. Lanternau est arrivé avec une
casquette blanche de marin, moi j’en veux une comme ça, et il a dit :
« Alors, l’équipage, prêt à l’embarquement ? En avant, une deux, une
deux, une deux ! » Papa a dit des choses à voix basse et maman l’a
regardé avec des gros yeux.
Au port, quand j’ai vu le bateau, j’ai été un peu déçu,
parce qu’il était tout petit, le bateau. Il s’appelait « La Jeanne »
et le patron avait une grosse tête rouge avec un béret dessus et il ne portait
pas un uniforme avec des tas de galons en or, comme j’espérais, pour le
raconter à l’école aux copains quand je rentrerai de vacances, mais ça ne fait
rien, je le raconterai quand même, après tout, quoi, à la fin ?
— Alors, capitaine, a dit M. Lanternau, tout est
paré à bord ?
— C’est bien vous les touristes pour l’île des
Embruns ? a demandé le patron et puis nous sommes montés sur son bateau. M. Lanternau
est resté debout et il a crié :
— Larguez les amarres ! Hissez les voiles !
En avant, toute !
— Remuez pas comme ça, a dit papa, vous allez tous nous
flanquer à l’eau !
— Oh oui, a dit maman, soyez prudent M. Lanternau.
Et puis elle a ri un petit coup, elle m’a serré la main très fort et elle m’a
dit de ne pas avoir peur mon chéri. Mais moi, comme je le raconterai à l’école
à la rentrée, je n’ai jamais peur.
— Ne craignez rien, petite madame, a dit M. Lanternau
à maman, c’est un vieux marin que vous avez à bord !
— Vous avez été marin, vous ? a demandé papa.
— Non, a répondu M. Lanternau, mais chez moi, sur
la cheminée, j’ai un petit voilier dans une bouteille ! Et il a fait un
gros rire et il a donné une grande claque sur le dos de papa.
Le patron du bateau n’a pas hissé les voiles, comme l’avait
demandé M. Lanternau, parce qu’il n’y avait pas de voiles sur le bateau.
Il y avait un moteur qui faisait potpotpot et qui sentait comme l’autobus qui
passe devant la maison, chez nous. Nous sommes sortis du port et il y avait des
petites vagues et le bateau remuait, c’était chouette comme tout.
— La mer va être calme ? a demandé papa au patron
du bateau. Pas de grain à l’horizon ?
M. Lanternau s’est mis à rigoler.
— Vous, il a dit à papa, vous avez peur d’avoir le mal
de mer !
— Le mal de mer ? a répondu papa. Vous voulez
plaisanter. J’ai le pied marin, moi. Je vous parie que vous aurez le mal de mer
avant moi, Lanternau !
— Tenu ! a dit M. Lanternau et il a donné une
grosse claque sur le dos de papa, et papa a fait une tête comme s’il voulait
donner une claque sur la figure de M. Lanternau.
— C’est quoi, le mal de mer, maman ? j’ai demandé.
— Parlons d’autre chose, mon chéri, si tu veux bien,
m’a répondu maman.
Les vagues devenaient plus fortes et c’était de plus en plus
chouette. De là où nous étions, on voyait l’hôtel qui avait l’air tout petit et
j’ai reconnu la fenêtre qui donnait sur notre baignoire, parce que maman avait
laissé son maillot rouge à sécher. Pour aller à l’île des Embruns, ça prend une
heure, il paraît. C’est un drôle de voyage !
— Dites donc, a dit M. Lanternau à papa, je
connais une histoire qui va vous amuser. Voilà : il y avait deux clochards
qui avaient envie de manger des spaghetti...
Malheureusement je n’ai pas pu connaître la suite de
l’histoire, parce que M. Lanternau a continué à la raconter à l’oreille de
papa.
— Pas mal, a dit papa, et vous connaissez celle du
médecin qui soigne un cas d’indigestion ? et comme M. Lanternau ne la
connaissait pas, papa la lui a racontée à l’oreille. Ils sont embêtants, à la
fin ! Maman, elle, n’écoutait pas, elle regardait, vers l’hôtel. Mme
Lanternau, comme d’habitude, elle ne disait rien. Elle a toujours l’air un peu
fatiguée.
Devant nous, il y avait l’île des Embruns, elle était encore
loin et c’était joli à voir avec toute la mousse blanche des vagues. Mais M. Lanternau
ne regardait pas l’île, il regardait papa, et, quelle drôle d’idée, il a tenu
absolument à lui raconter ce qu’il avait mangé dans un restaurant avant de
partir en vacances. Et papa, qui pourtant, d’habitude, n’aime pas faire la
conversation avec M. Lanternau, lui a raconté tout ce qu’il avait mangé à
son repas de première communion. Moi, ils commençaient à me donner faim avec
leurs histoires. J’ai voulu demander à maman de me donner un œuf dur, mais elle
ne m’a pas entendu parce qu’elle avait les mains sur les oreilles, à cause du
vent, sans doute.
— Vous m’avez l’air un peu pâle, a dit M. Lanternau
à papa, ce qui vous ferait du bien, c’est un grand bol de graisse de mouton
tiède.
— Oui, a dit papa, ce n’est pas mauvais avec des
huîtres recouvertes de chocolat chaud.
L’île des Embruns était tout près maintenant.
— Nous allons bientôt débarquer, a dit M. Lanternau
à papa, vous seriez chiche de manger une escalope froide ou un sandwich, tout
de suite, avant de quitter le bateau ?
— Mais certainement, a répondu papa, l’air du large, ça
creuse ! Et papa a pris le panier à pique-nique et puis il s’est retourné
vers le patron du bateau.
— Un sandwich avant d’accoster, patron ? a demandé
papa.
Eh bien, on n’y est jamais arrivé à l’île des Embruns, parce
que quand il a vu le sandwich, le patron du bateau est devenu très malade et il
a fallu revenir au port le plus vite possible.
Un nouveau professeur de gymnastique a fait son
apparition sur la plage, et tous les parents se sont empressés d’inscrire leurs
enfants à son cours. Ils ont pensé, dans leur sagesse de parents, que d’occuper
les enfants pendant une heure tous les jours pouvait faire le plus grand bien à
tout le monde.
La gym
Hier, on a eu un nouveau professeur de gymnastique.
— Je m’appelle Hector Duval, il nous a dit, et
vous ?
— Nous pas, a répondu Fabrice, et ça, ça nous a fait
drôlement rigoler.
J’étais sur la plage avec tous les copains de l’hôtel,
Blaise, Fructueux, Mamert, qu’il est bête celui-là ! Irénée, Fabrice et
Côme. Pour la leçon de gymnastique, il y avait des tas d’autres types ;
mais ils sont de l’hôtel de la Mer et de l’hôtel de la Plage et nous, ceux du
Beau-Rivage, on ne les aime pas.
Le professeur, quand on a fini de rigoler, il a plié ses
bras et ça a fait deux gros tas de muscles.
— Vous aimeriez avoir des biceps comme ça ? a
demandé le professeur.
— Bof, a répondu Irénée.
— Moi, je ne trouve pas ça joli, a dit Fructueux, mais
Côme a dit qu’après tout, oui, pourquoi pas, il aimerait bien avoir des trucs
comme ça sur les bras pour épater les copains à l’école. Côme, il m’énerve, il
veut toujours se montrer. Le professeur a dit :
— Eh bien, si vous êtes sages et vous suivez bien les
cours de gymnastique, à la rentrée, vous aurez tous des muscles comme ça.
Alors, le professeur nous a demandé de nous mettre en rang
et Côme m’a dit :
— Chiche que tu ne sais pas faire des galipettes comme
moi. Et il a fait une galipette.
Moi, ça m’a fait rigoler, parce que je suis terrible pour
les galipettes, et je lui ai montré.
— Moi aussi je sais ! Moi aussi je sais ! a
dit Fabrice, mais lui, il ne savait pas. Celui qui les faisait bien, c’était
Fructueux, beaucoup mieux que Blaise, en tout cas. On était tous là, à faire
des galipettes partout, quand on a entendu des gros coups de sifflet à
roulette.
— Ce n’est pas bientôt fini ? a crié le
professeur. Je vous ai demandé de vous mettre en rang, vous aurez toute la
journée pour faire les clowns !
On s’est mis en rang pour ne pas faire d’histoires et le
professeur nous a dit qu’il allait nous montrer ce que nous devions faire pour
avoir des tas de muscles partout. Il a levé les bras et puis il les a baissés,
il les a levés et il les a baissés, il les a levés et un des types de l’hôtel
de la Mer nous a dit que notre hôtel était moche.
— C’est pas vrai, a crié Irénée, il est rien chouette
notre hôtel, c’est le vôtre qui est drôlement laid !
— Dans le nôtre, a dit un type de l’hôtel de la Plage,
on a de la glace au chocolat tous les soirs.
— Bah ! a dit un de ceux de l’hôtel de la Mer,
nous, on en a à midi aussi et jeudi il y avait des crêpes à la confiture !
— Mon papa, a dit Côme, il demande toujours des
suppléments, et le patron de l’hôtel lui donne tout ce qu’il veut !
— Menteur, c’est pas vrai ! a dit un type de
l’hôtel de la Plage.
— Ça va continuer longtemps, votre petite
conversation ? a crié le professeur de gymnastique, qui ne bougeait plus
les bras parce qu’il les avait croisés. Ce qui bougeait drôlement, c’étaient
ses trous de nez, mais je ne crois pas que c’est en faisant ça qu’on aura des
muscles.
Le professeur s’est passé une main sur la figure et puis il
nous a dit qu’on verrait plus tard pour les mouvements de bras, qu’on allait
faire des jeux pour commencer. Il est chouette, le professeur.
— Nous allons faire des courses, il a dit. Mettez-vous
en rang, là. Vous partirez au coup de sifflet. Le premier arrivé au parasol,
là-bas, c’est le vainqueur. Prêts ? et le professeur a donné un coup de
sifflet. Le seul qui est parti, c’est Mamert, parce que nous, on a regardé le
coquillage que Fabrice avait trouvé sur la plage, et Côme nous a expliqué qu’il
en avait trouvé un beaucoup plus grand l’autre jour et qu’il allait l’offrir à
son papa pour qu’il s’en fasse un cendrier. Alors, le professeur a jeté son sifflet
par terre et il a donné des tas de coups de pied dessus. La dernière fois que
j’ai vu quelqu’un d’aussi fâché que ça, c’est à l’école, quand Agnan, qui est
le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse, a su qu’il était second
à la composition d’arithmétique.
— Est-ce que vous allez vous décider à m’obéir ? a
crié le professeur.
— Ben quoi, a dit Fabrice, on allait partir pour votre
course, m’sieur, y a rien qui presse.
Le professeur a fermé les yeux et les poings, et puis il a
levé ses trous de nez qui bougeaient, vers le ciel. Quand il a redescendu la
tête, il s’est mis à parler très lentement et très doucement.
— Bon, il a dit, on recommence. Tous prêts pour le
départ.
— Ah non, a crié Mamert, c’est pas juste ! C’est
moi qui ai gagné, j’étais le premier au parasol ! C’est pas juste et je le
dirai à mon papa ! et il s’est mis à pleurer et à donner des coups de pied
dans le sable et puis il a dit que puisque c’était comme ça, il s’en allait et
il est parti en pleurant et je crois qu’il a bien fait de partir, parce que le
professeur le regardait de la même façon que papa regardait le ragoût qu’on
nous a servi hier soir pour le dîner.
— Mes enfants, a dit le professeur, mes chers petits,
mes amis, celui qui ne fera pas ce que je lui dirai de faire... je lui flanque
une fessée dont il se souviendra longtemps !
— Vous n’avez pas le droit, a dit quelqu’un, il n’y a
que mon papa, ma maman, tonton et pépé qui ont le droit de me donner des
fessées !
— Qui a dit ça ? a demandé le professeur.
— C’est lui, a dit Fabrice en montrant un type de
l’hôtel de la Plage, un tout petit type.
— C’est pas vrai, sale menteur, a dit le petit type et
Fabrice lui a jeté du sable à la figure, mais le petit type lui a donné une
drôle de claque. Moi je crois que le petit type avait déjà dû faire de la
gymnastique et Fabrice a été tellement surpris, qu’il a oublié de pleurer.
Alors, on a tous commencé à se battre, mais ceux de l’hôtel de la Mer et ceux
de l’hôtel de la Plage, c’est des traîtres.
Quand on a fini de se battre, le professeur, qui était assis
sur le sable, s’est levé et il a dit :
— Bien. Nous allons passer au jeu suivant. Tout le
monde face à la mer. Au signal, vous allez tous à l’eau ! Prêts ?
Partez !
Ça, ça nous plaisait bien, ce qu’il y a de mieux à la plage,
avec le sable, c’est la mer. On a couru drôlement et l’eau était chouette et on
s’est éclaboussés les uns les autres et on a joué à sauter avec les vagues et
Côme criait :
« Regardez-moi ! Regardez-moi ! Je fais du
crawl ! » et quand on s’est retournés, on a vu que le professeur
n’était plus là.
Et aujourd’hui, on a eu un nouveau professeur de
gymnastique.
— Je m’appelle Jules Martin, il nous a dit, et
vous ?
Les vacances se poursuivent agréablement, et le père de
Nicolas n’a rien à reprocher à l’hôtel Beau-Rivage, si ce n’est son ragoût,
surtout le soir où il a trouvé un coquillage dedans. Comme il n’y a plus de
professeur de gymnastique pour l’instant, les enfants cherchent d’autres
activités pour y déverser le trop-plein de leur énergie...
Le golf miniature
Aujourd’hui on a décidé d’aller jouer au golf miniature qui
se trouve à côté du magasin où on vend des souvenirs. C’est rien chouette le
golf miniature, je vais vous l’expliquer : il y a dix-huit trous et on
vous donne des balles et des bâtons et il faut mettre les balles dans les trous
en moins de coups de bâton possible. Pour arriver jusqu’aux trous, il faut
passer par des petits châteaux, des rivières, des zigzags, des montagnes, des
escaliers ; c’est terrible. Il n’y a que le premier trou qui est facile.
L’ennui, c’est que le patron du golf miniature ne nous
laisse pas jouer si on n’est pas accompagnés par une grande personne. Alors,
avec Blaise, Fructueux, Mamert, qu’il est bête celui-là ! Irénée, Fabrice
et Côme qui sont mes copains de l’hôtel, nous sommes allés demander à mon papa
de venir jouer avec nous au golf miniature.
— Non, a dit papa qui lisait son journal sur la plage.
— Allez, quoi, soyez chouette pour une fois a dit
Blaise.
— Allez, quoi ! Allez, quoi ! ont crié les
autres et moi je me suis mis à pleurer et j’ai dit que puisque je ne pouvais
pas jouer au golf miniature, je prendrai un pédalo et je partirai loin, très
loin et on ne me reverrait jamais.
— Tu peux pas, m’a dit Mamert, mais qu’il est
bête ! Pour louer un pédalo, il faut être accompagné par une grande
personne.
— Bah, a dit Côme, qui m’énerve parce qu’il aime
toujours se montrer, moi, j’ai pas besoin de pédalo, je peux aller très loin en
faisant du crawl.
On était tous là à discuter autour de papa, et puis papa a
chiffonné son journal, il l’a jeté sur le sable et il a dit :
— Bon, ça va, je vous emmène au golf miniature.
J’ai le papa le plus gentil du monde. Je le lui ai dit et je
l’ai embrassé.
Le patron du golf miniature, quand il nous a vus, il n’avait
pas tellement envie de nous laisser jouer. Nous on s’est mis à crier :
« Allez, quoi ! Allez, quoi ! » et puis le patron du golf
miniature a accepté, mais il a dit à papa de bien nous surveiller.
On s’est mis au départ du premier trou, celui qui est
drôlement facile et papa, qui sait des tas de choses, nous a montré comment il
fallait faire pour tenir le bâton.
— Moi je sais ! a dit Côme et il a voulu commencer
à jouer, mais Fabrice lui a dit qu’il n’y avait pas de raison qu’il soit le
premier.
— On n’a qu’à y aller par ordre alphabétique, comme à
l’école, quand la maîtresse nous interroge, a dit Blaise ; mais moi
j’étais pas d’accord, parce que Nicolas, c’est drôlement loin dans l’alphabet
et à l’école c’est chouette, mais au golf miniature, c’est pas juste. Et puis,
le patron du golf miniature est venu dire à papa qu’il faudrait que nous
commencions à jouer, parce qu’il y avait des gens qui attendaient pour faire du
golf miniature.
— C’est Mamert qui va commencer, parce que c’est le
plus sage, a dit papa.
Et Mamert est venu, il a donné un coup de bâton terrible
dans la balle qui a sauté en l’air, qui est passée par-dessus la grille et qui
est allée taper contre une auto qui était arrêtée sur la route. Mamert s’est
mis à pleurer et papa est allé chercher la balle.
Papa, il tardait un peu à revenir, parce que dans l’auto
arrêtée il y avait un monsieur, et le monsieur est sorti de l’auto et il s’est
mis à parler avec papa en faisant des tas de gestes et il y a des gens qui sont
venus pour les regarder et qui rigolaient.
Nous, on voulait continuer à jouer, mais Mamert était assis
sur le trou, il pleurait et il disait qu’il ne se lèverait pas tant qu’on ne
lui aurait pas rendu sa balle et qu’on était tous des méchants. Et puis, papa
est revenu avec la balle et il n’avait pas l’air content.
— Essayez de faire un peu attention, il a dit papa.
— D’accord, a dit Mamert, passez-moi la balle. Mais
papa n’a pas voulu, il a dit à Mamert que ça allait comme ça, qu’il jouerait un
autre jour. Ça, ça ne lui a pas plu à Mamert qui a commencé à donner des coups
de pied partout et qui s’est mis à crier que tout le monde profitait de lui et
puisque c’était comme ça, il allait chercher son papa. Et il est parti.
— Bon, à moi, a dit Irénée.
— Non monsieur, a dit Fructueux, c’est moi qui vais
jouer. Alors Irénée a donné un coup de bâton sur la tête de Fructueux et
Fructueux a donné une claque à Irénée et le patron du golf miniature est venu
en courant.
— Dites, a crié le patron du golf miniature à mon papa,
enlevez d’ici votre marmaille, il y a des gens qui attendent pour jouer !
— Soyez poli, a dit papa. Ces enfants ont payé pour
jouer, ils joueront !
— Bravo ! a dit Fabrice à papa, dites-y ! Et
tous les copains étaient drôlement pour papa, sauf Fructueux et Irénée qui
étaient occupés à se donner des coups de bâton et des claques.
— Ah, c’est comme ça, a dit le patron du golf
miniature, et si j’appelais un agent ?
— Appelez-le, a dit papa, on verra à qui il donnera
raison. Alors, le patron du golf miniature a appelé l’agent qui était sur la
route.
— Lucien ! il a appelé le patron du golf
miniature. Et l’agent est venu.
— Qu’est-ce qu’il y a Ernest ? il a demandé au
patron du golf miniature.
— Il y a, a répondu le patron du golf miniature, que
cet individu empêche les autres gens de jouer.
— Oui, a dit un monsieur, voilà une demi-heure que nous
attendons pour faire le premier trou !
— A votre âge, a demandé papa, vous n’avez pas de
choses plus intéressantes à faire ?
— De quoi ? a dit le patron du golf miniature, si
le golf miniature ne vous plaît pas, ne dégoûtez pas les autres du golf
miniature !
— Au fait, a dit l’agent, il y a un monsieur qui vient
de porter plainte parce qu’une balle de golf miniature a rayé la carrosserie de
sa voiture.
— Alors, on peut le faire ce premier trou, oui ou
non ? a demandé le monsieur qui attendait.
Et puis, est arrivé Mamert avec son papa.
— C’est lui ! a dit Mamert à son papa en montrant
mon papa.
— Eh bien, a dit le papa de Mamert, il paraît que vous
empêchez mon fils de jouer avec ses petits camarades ? Et puis papa s’est
mis à crier, et le patron du golf miniature s’est mis à crier, et tout le monde
s’est mis à crier et l’agent donnait des coups de sifflet, et puis à la fin
papa nous a fait tous sortir du golf miniature et Côme n’était pas content
parce qu’il disait que pendant que personne ne le regardait il avait fait le
trou en un seul coup, mais moi je suis sûr que c’est des blagues.
Comme on a bien rigolé, au golf miniature, on a décidé de
revenir demain pour essayer le deuxième trou.
Ce que je ne sais pas, c’est si papa sera d’accord pour nous
accompagner au golf miniature.
Non, le père de Nicolas n’a plus jamais voulu retourner
au golf miniature, il est même pris d’une grande aversion pour le golf
miniature, presque autant que pour le ragoût de l’hôtel Beau-Rivage. La mère de
Nicolas a dit qu’il ne fallait pas faire de scandale au sujet du ragoût, et le
père de Nicolas a répondu qu’au prix où était la pension, le scandale c’était
de servir des choses pareilles à table. Et ce qui n’a rien arrangé, c’est qu’il
s’est mis à pleuvoir de nouveau...
On a joué à la marchande
Ce qu’il y a avec les filles, c’est que ça ne sait pas
jouer, ça pleure tout le temps et ça fait des histoires. A l’hôtel, il y en a
trois.
Les trois filles qu’il y a à l’hôtel s’appellent Isabelle,
Micheline et Gisèle. Gisèle, c’est la sœur de mon copain Fabrice et ils se
battent tout le temps et Fabrice m’a expliqué que c’était très embêtant d’avoir
une fille comme sœur et que si ça continuait, il allait quitter la maison.
Quand il fait beau et que nous sommes à la plage, les filles
ne nous gênent pas. Elles jouent à des jeux bêtes, elles font des tas de pâtés,
elles se racontent des histoires et puis avec des crayons, elles se mettent du
rouge sur les ongles. Nous, avec les copains, on fait des choses terribles. On
fait des courses, des galipettes, du foot, on nage, on se bat. Des choses
chouettes, quoi.
Mais quand il ne fait pas beau, alors, c’est autre chose,
parce qu’on doit tous rester à l’hôtel ensemble. Et hier, il ne faisait pas
beau, il pleuvait tout le temps. Après le déjeuner, on a eu des raviolis et
c’était drôlement meilleur que le ragoût, nos papas et nos mamans sont partis
faire la sieste. Avec Blaise, Fructueux, Mamert, Irénée, Fabrice et Côme, tous
des copains de l’hôtel, on était dans le salon et on jouait aux cartes, sans
faire de bruit. On ne faisait pas les guignols, parce que quand il pleut, les
papas et les mamans, ça ne rigole pas. Et pendant ces vacances, c’est souvent
que les papas et les mamans n’ont pas rigolé.
Et puis, les trois filles sont entrées dans le salon.
— On veut jouer avec vous, a dit Gisèle.
— Laisse-nous tranquilles, ou je te flanque une claque,
Zésèle ! a dit Fabrice. Ça, ça ne lui a pas plu à Gisèle.
— Si on ne peut pas jouer avec vous, tu sais ce que je
vais faire, Fafa ? a dit Gisèle. Eh bien, j’irai tout raconter à papa et à
maman et tu seras puni, et tes copains seront punis et vous n’aurez pas de
dessert.
— Bon, a dit Mamert, mais qu’il est bête
celui-là ! Vous pouvez jouer avec nous.
— Toi, on t’a pas sonné, a dit Fabrice. Alors, Mamert
s’est mis à pleurer, il a dit qu’il n’avait pas envie d’être puni, que c’était
pas juste et que s’il était privé de dessert, il se tuerait. Nous, on était
embêtés, parce qu’avec tout le bruit que faisait Mamert, il allait finir par
réveiller nos papas et nos mamans.
— Alors, qu’est-ce qu’on fait ? j’ai demandé à
Irénée.
— Bof, m’a répondu Irénée, et on a décidé de laisser
jouer les filles avec nous.
— A quoi on joue ? a demandé Micheline, une grosse
qui me fait penser à Alceste, un copain de l’école qui mange tout le temps.
— On joue à la marchande, a dit Isabelle.
— T’es pas un peu folle ? a demandé Fabrice.
— C’est bon, Fafa, a dit Gisèle, je vais réveiller
papa. Et tu sais comment est papa quand on le réveille ! Alors Mamert s’est
mis à pleurer et il a dit qu’il voulait jouer à la marchande. Blaise a dit que
plutôt que de jouer à la marchande, il préférait aller réveiller lui-même le
papa de Fabrice. Mais Fructueux a dit qu’il croyait que ce soir il y avait de
la glace au chocolat comme dessert, alors, on a dit, bon d’accord.
Gisèle s’est mise derrière une table du salon, et sur la
table elle a mis les cartes et puis des cendriers et elle a dit qu’elle serait
la marchande et que la table ce serait le comptoir, et que ce qu’il y avait sur
la table ce serait les choses qu’elle vendait et que nous, on devait venir et
lui acheter les choses.
— C’est ça, a dit Micheline, et moi, je serais une dame
très belle et très riche et j’aurais une auto et des tas de fourrures.
— C’est ça, a dit Isabelle, et moi, je serais une autre
dame, encore plus riche et encore plus belle, et j’aurais une auto avec des
fauteuils rouges comme celle de tonton Jean-Jacques, et des chaussures avec des
talons hauts.
— C’est ça, a dit Gisèle, et Côme, ce serait le mari de
Micheline.
— Je veux pas, a dit Côme.
— Et pourquoi tu veux pas ? a demandé Micheline.
— Parce qu’il te trouve trop grosse, voilà pourquoi, a
dit Isabelle. Il préfère être mon mari à moi.
— C’est pas vrai ! a dit Micheline et elle a donné
une claque à Côme et Mamert s’est mis à pleurer. Pour faire taire Mamert, Côme
a dit qu’il serait le mari de n’importe qui.
— Bon, a dit Gisèle, alors, on va commencer à jouer.
Toi, Nicolas, tu serais le premier client, mais comme tu serais très pauvre, tu
n’aurais pas de quoi acheter à manger. Alors moi, je serais très généreuse, et
je te donnerais des choses pour rien.
— Moi, je joue pas, a dit Micheline, après ce que m’a
dit Isabelle, je ne parlerai plus jamais à personne.
— Ah ! la la ! mademoiselle fait des manières,
a dit Isabelle, tu crois que je ne sais pas ce que tu as dit de moi à Gisèle
quand je n’étais pas là ?
— Oh ! La menteuse ! a crié Micheline, après
tout ce que tu m’as dit de Gisèle !
— Qu’est-ce que tu as dit de moi à Micheline,
Isabelle ? a demandé Gisèle.
— Rien, j’ai rien dit de toi à Micheline, voilà ce que
j’ai dit, a dit Isabelle.
— Tu as du toupet, a crié Micheline, tu me l’as dit
devant la vitrine du magasin, là où il y avait le maillot noir avec des petites
fleurs roses, celui qui m’irait si bien, tu sais ?
— C’est pas vrai, a crié Isabelle, mais Gisèle m’a
raconté ce que tu lui avais dit de moi sur la plage.
— Dites, les filles, a demandé Fabrice, on joue, oui ou
non ? Alors, Micheline a dit à Fabrice de se mêler de ce qui le regardait
et elle l’a griffé.
— Laisse mon frère tranquille ! a dit Gisèle et
elle a tiré les nattes de Micheline et Micheline s’est mise à crier et elle a
donné une claque à Gisèle et ça, ça a fait rigoler Fabrice, mais Mamert s’est
mis à pleurer et les filles faisaient un drôle de bruit et des tas de papas et
de mamans sont descendus dans le salon et ils ont demandé ce qui se passait.
— Ce sont les garçons qui ne nous laissent pas jouer
tranquilles à la marchande, a dit Isabelle. Alors, on a été tous privés de
dessert.
Et Fructueux avait raison, ce soir-là, c’était la glace au
chocolat !
Et puis, le soleil est revenu, radieux, le jour de la fin
des vacances. Il a fallu dire au revoir à tous les amis, faire les bagages et
reprendre le train. Le patron de l’hôtel Beau-Rivage a proposé au père de
Nicolas de lui donner un peu de ragoût pour le voyage, mais le père de Nicolas
a refusé. Il a eu tort, car cette fois-ci, c’étaient les œufs durs qui étaient
dans la malle marron, qui était, elle-même, dans le fourgon.
On est rentrés
Moi, je suis bien content d’être rentré à la maison, mais
mes copains de vacances ne sont pas ici et mes copains d’ici sont encore en
vacances et moi je suis tout seul et ce n’est pas juste et je me suis mis à
pleurer.
— Ah, non ! a dit papa. Demain je recommence à
travailler, je veux me reposer un peu aujourd’hui, tu ne vas pas me casser les
oreilles.
— Mais enfin, a dit maman à papa, sois un peu patient
avec le petit. Tu sais comment sont les enfants quand ils reviennent de
vacances. Et puis maman m’a embrassé, elle s’est essuyé la figure, elle m’a
mouché et elle m’a dit de m’amuser gentiment. Alors moi j’ai dit à maman que je
voulais bien, mais que je ne savais pas quoi faire.
— Pourquoi ne ferais-tu pas germer un haricot ?
m’a demandé maman. Et elle m’a expliqué que c’était très chouette, qu’on
prenait un haricot, qu’on le mettait sur un morceau d’ouate mouillé et puis
qu’après on voyait apparaître une tige, et puis des feuilles, et puis qu’on
avait une belle plante d’haricot et que c’était drôlement amusant et que papa
me montrerait. Et puis maman est montée arranger ma chambre.
Papa, qui était couché sur le canapé du salon, a poussé un
gros soupir et puis il m’a dit d’aller chercher l’ouate. Je suis allé dans la
salle de bains, j’ai pas trop renversé de choses et la poudre par terre c’est
facile à nettoyer avec un peu d’eau ; je suis revenu dans le salon et j’ai
dit à papa :
— Voilà l’ouate, papa.
— On dit : la ouate, Nicolas, m’a expliqué papa
qui sait des tas de choses parce qu’à mon âge il était le premier de sa classe
et c’était un drôle d’exemple pour ses copains.
— Bon, m’a dit papa, maintenant, va à la cuisine
chercher un haricot.
A la cuisine, je n’ai pas trouvé d’haricot. Ni de gâteaux
non plus, parce qu’avant de partir maman avait tout vidé, sauf le morceau de
camembert qu’elle avait oublié dans le placard et c’est pour ça qu’en rentrant
de vacances il a fallu ouvrir la fenêtre de la cuisine.
Dans le salon, quand j’ai dit à papa que je n’avais pas
trouvé d’haricot, il m’a dit :
— Eh bien tant pis, et il s’est remis à lire son
journal, mais moi j’ai pleuré et j’ai crié :
— Je veux faire germer un haricot ! Je veux faire
germer un haricot ! Je veux faire germer un haricot !
— Nicolas, m’a dit papa, tu vas recevoir une fessée.
Alors ça, c’est formidable ! On veut que je fasse
germer un haricot et parce qu’il n’y a pas d’haricots, on veut me punir !
Là, je me suis mis à pleurer pour de vrai, et maman est arrivée et quand je lui
ai expliqué, elle m’a dit :
— Va à l’épicerie du coin et demande qu’on te donne un
haricot.
— C’est ça, a dit papa, et prends tout ton temps.
Je suis allé chez M. Compani, qui est l’épicier du coin
et qui est drôlement chouette parce que quand j’y vais, il me donne quelquefois
des biscuits. Mais là, il ne m’a rien donné, parce que l’épicerie était fermée
et il y avait un papier où c’était écrit que c’était à cause des vacances.
Je suis revenu en courant à la maison, où j’ai trouvé papa
toujours sur le canapé, mais il ne lisait plus, il avait mis le journal sur sa
figure.
— C’est fermé chez M. Compani, j’ai crié, alors,
j’ai pas d’haricot !
Papa, il s’est assis d’un coup.
— Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? il
a demandé ; alors, il a fallu que je lui explique de nouveau. Papa s’est
passé la main sur la figure, il a fait de gros soupir, et il a dit qu’il n’y
pouvait rien.
— Et qu’est-ce que je vais faire germer alors, sur mon
morceau de la ouate ? j’ai demandé.
— On dit un morceau d’ouate, pas de la ouate, m’a dit
papa.
— Mais tu m’avais dit qu’on disait de la ouate, j’ai
répondu.
— Nicolas, a crié papa, c’est assez comme ça ! Va
jouer dans ta chambre !
Moi je suis monté dans ma chambre en pleurant, et j’y ai
trouvé maman en train de ranger.
— Non, Nicolas, n’entre pas ici, m’a dit maman.
Descends jouer dans le salon. Pourquoi ne fais-tu pas germer un haricot, comme
je te l’ai dit ?
Dans le salon, avant que papa se mette à crier, je lui ai
expliqué que c’était maman qui m’avait dit de descendre et que si elle
m’entendait pleurer, elle allait se fâcher.
— Bon, m’a dit papa, mais sois sage.
— Et où est-ce que je vais trouver l’haricot pour faire
germer ? j’ai demandé.
— On ne dit pas l’haricot, on dit... a commencé à dire
papa, et puis, il m’a regardé, il s’est gratté la tête et il m’a dit :
— Va chercher des lentilles dans la cuisine. Ça
remplacera l’haricot.
Ça, des lentilles, il y en avait dans la cuisine, et moi
j’étais drôlement content. Et puis papa m’a montré comment il fallait mouiller
la ouate et comment il fallait mettre les lentilles dessus.
— Maintenant, m’a dit papa, tu mets le tout sur une
soucoupe, sur le rebord de la fenêtre, et puis plus tard, il y aura des tiges
et des feuilles. Et puis il s’est recouché sur le canapé.
Moi, j’ai fait comme m’avait dit papa, et puis j’ai attendu.
Mais je n’ai pas vu les tiges sortir des lentilles et je me suis demandé ce qui
ne marchait pas. Comme je ne savais pas, je suis allé voir papa.
— Quoi encore ? a crié papa.
— Il n’y a pas de tiges qui sortent des lentilles, j’ai
dit.
— Tu la veux cette fessée ? a crié papa, et moi
j’ai dit que j’allais quitter la maison, que j’étais très malheureux, qu’on ne
me reverrait jamais, qu’on me regretterait bien, que le coup des lentilles
c’était de la blague et maman est arrivée en courant dans le salon.
— Tu ne peux pas être un peu plus patient avec le
petit ? a demandé maman à papa, moi, je dois ranger la maison, je n’ai pas
le temps de m’occuper de lui, il me semble...
— Il me semble à moi, a répondu papa, qu’un homme
devrait pouvoir avoir la paix chez soi !
— Ma pauvre mère avait bien raison, a dit maman.
— Ne mêle pas ta mère qui n’a rien de pauvre, dans
cette histoire ! a crié papa.
— C’est ça, a dit maman, insulte ma mère
maintenant !
— Moi j’ai insulté ta mère ? a crié papa. Et maman
s’est mise à pleurer, et papa s’est mis à marcher dans le salon en criant, et
moi j’ai dit que si on ne faisait pas germer mes lentilles tout de suite, je me
tuerais. Alors, maman m’a donné une fessée.
Les parents, quand ils reviennent de vacances, sont
insupportables !
Une nouvelle année scolaire, tout aussi studieuse que la
précédente, s’est écoulée. C’est avec un peu de mélancolie que Nicolas,
Alceste, Rufus, Eudes, Geoffroy, Maixent, Joachim, Clotaire et Agnan se sont
éparpillés, après la distribution des prix. Mais l’appel des vacances est là,
et la joie revient vite dans les jeunes cœurs des écoliers.
Cependant, Nicolas est inquiet on ne parle pas de
vacances chez lui.
Il faut être raisonnable
Ce qui m’étonne, moi, c’est qu’à la maison on n’a pas encore
parlé de vacances ! Les autres années, Papa dit qu’il veut aller quelque
part, Maman dit qu’elle veut aller ailleurs, ça fait des tas d’histoires. Papa
et Maman disent que puisque c’est comme ça ils préfèrent rester à la maison,
moi je pleure, et puis on va où voulait aller Maman. Mais cette année, rien.
Pourtant, les copains de l’école se préparent tous à partir.
Geoffroy, qui a un papa très riche, va passer ses vacances dans la grande
maison que son papa a au bord de la mer. Geoffroy nous a dit qu’il a un morceau
de plage pour lui tout seul, où personne d’autre n’a le droit de venir faire
des pâtés. Ça, c’est peut-être des blagues, parce qu’il faut dire que Geoffroy
est très menteur.
Agnan, qui est le premier de la classe et le chouchou de la
maîtresse, s’en va en Angleterre passer ses vacances dans une école où on va
lui apprendre à parler l’anglais. Il est fou, Agnan.
Alceste va manger des truffes en Périgord, où son papa a un
ami qui a une charcuterie. Et c’est comme ça pour tous : ils vont à la
mer, à la montagne ou chez leurs mémés à la campagne. Il n’y a que moi qui ne
sais pas encore où je vais aller, et c’est très embêtant, parce qu’une des
choses que j’aime le mieux dans les vacances, c’est d’en parler avant et après
aux copains.
C’est pour ça qu’à la maison, aujourd’hui, j’ai demandé à
Maman où on allait partir en vacances. Maman, elle a fait une drôle de figure,
elle m’a embrassé sur la tête et elle m’a dit que nous allions en parler
« quand Papa sera de retour, mon chéri », et que j’aille jouer dans
le jardin, maintenant.
Alors, je suis allé dans le jardin et j’ai attendu Papa, et
quand il est arrivé de son bureau, j’ai couru vers lui ; il m’a pris dans
ses bras, il m’a fait « Oup là ! » et je lui ai demandé où nous
allions partir en vacances. Alors, Papa a cessé de rigoler, il m’a posé par
terre et il m’a dit qu’on allait en parler dans la maison, où nous avons trouvé
Maman assise dans le salon.
— Je crois que le moment est venu, a dit Papa.
— Oui, a dit Maman, il m’en a parlé tout à l’heure.
— Alors, il faut le lui dire, a dit Papa.
— Eh bien, dis-lui, a dit Maman.
— Pourquoi moi ? a demandé Papa ; tu n’as
qu’à lui dire, toi.
— Moi ? c’est à toi à lui dire, a dit Maman ;
l’idée est de toi.
— Pardon, pardon, a dit Papa, tu étais d’accord avec
moi, tu as même dit que ça lui ferait le plus grand bien, et à nous aussi. Tu
as autant de raisons que moi de le lui dire.
— Ben alors, j’ai dit, on parle des vacances ou on ne
parle pas des vacances ? Tous les copains partent et moi je vais avoir
l’air d’un guignol si je ne peux pas leur dire où nous allons et ce que nous
allons y faire.
Alors, Papa s’est assis dans le fauteuil, il m’a pris par
les mains et il m’a tiré contre ses genoux.
— Mon Nicolas est un grand garçon raisonnable, n’est-ce
pas ? a demandé Papa.
— Oh ! oui, a répondu Maman, c’est un homme
maintenant !
Moi, j’aime pas trop quand on me dit que je suis un grand
garçon, parce que d’habitude, quand on me dit ça, c’est qu’on va me faire faire
des choses qui ne me plaisent pas.
— Et je suis sûr, a dit Papa, que mon grand garçon
aimerait bien aller à la mer !
— Oh ! oui, j’ai dit.
— Aller à la mer, nager, pêcher, jouer sur la plage, se
promener dans les bois, a dit Papa.
— Il y a des bois, là où on va ? j’ai demandé.
Alors c’est pas là où on a été l’année dernière ?
— Écoute, a dit Maman à Papa. Je ne peux pas. Je me
demande si c’est une si bonne idée que ça. Je préfère y renoncer. Peut-être,
l’année prochaine...
— Non ! a dit Papa. Ce qui est décidé est décidé.
Un peu de courage, que diable ! Et Nicolas va être très raisonnable ;
n’est-ce pas, Nicolas ?
Moi j’ai dit que oui, que j’allais être drôlement
raisonnable. J’étais bien content, avec le coup de la mer et de la plage,
j’aime beaucoup ça. La promenade dans les bois, c’est moins rigolo, sauf pour
jouer à cache-cache ; alors là, c’est terrible.
— Et on va aller à l’hôtel ? j’ai demandé.
— Pas exactement, a dit Papa. Je... je crois que tu
coucheras sous la tente. C’est très bien, tu sais...
Alors là, j’étais content comme tout.
— Sous la tente, comme les Indiens dans le livre que
m’a donné tante Dorothée ? j’ai demandé.
— C’est ça, a dit Papa.
— Chic ! j’ai crié. Tu me laisseras t’aider à
monter la tente ? Et à faire du feu pour cuire le manger ? Et tu
m’apprendras à faire de la pêche sous-marine pour apporter des gros poissons à
Maman ? Oh ! ça va être chic, chic, chic !
Papa s’est essuyé la figure avec son mouchoir, comme s’il
avait très chaud, et puis il m’a dit :
— Nicolas, nous devons parler d’homme à homme. Il faut
que tu sois très raisonnable.
— Et si tu es bien sage et tu te conduis comme un grand
garçon, a dit Maman, ce soir, pour le dessert, il y aura de la tarte.
— Et je ferai réparer ton vélo, comme tu me le
demandes, depuis si longtemps, a dit Papa. Alors, voilà... Il faut que je
t’explique quelque chose...
— Je vais à la cuisine, a dit Maman.
— Non ! reste ! a dit Papa. Nous avions
décidé de le lui dire ensemble...
Alors Papa a toussé un peu dans sa gorge, il m’a mis ses
mains sur mes épaules et puis il m’a dit :
— Nicolas, mon petit, nous ne partirons pas avec toi en
vacances. Tu iras seul, comme un grand.
— Comment, seul ? j’ai demandé. Vous ne partez
pas, vous ?
— Nicolas, a dit Papa, je t’en prie, sois raisonnable.
Maman et moi, nous irons faire un petit voyage, et comme nous avons pensé que
ça ne t’amuserait pas, nous avons décidé que toi tu irais en colonie de
vacances. Ça te fera le plus grand bien, tu seras avec des petits camarades de
ton âge et tu t’amuseras beaucoup...
— Bien sûr, c’est la première fois que tu seras séparé
de nous, Nicolas, mais c’est pour ton bien, a dit Maman.
— Alors, Nicolas, mon grand... qu’est-ce que tu en
dis ? m’a demandé Papa.
— Chouette ! j’ai crié, et je me suis mis à danser
dans le salon. Parce que c’est vrai, il paraît que c’est terrible, les colonies
de vacances : on se fait des tas de copains, on fait des promenades, des
jeux, on chante autour d’un gros feu, et j’étais tellement content que j’ai
embrassé Papa et Maman.
Pour le dessert, la tarte a été très bonne, et j’en ai eu
plusieurs fois parce que ni Papa ni Maman n’en ont mangé. Ce qui est drôle,
c’est que Papa et Maman me regardaient avec des gros yeux ronds. Ils avaient
même l’air un peu fâché.
Pourtant, je ne sais pas, moi, mais je crois que j’ai été
raisonnable, non ?
Les préparatifs sont allés bon train, entrecoupés,
toutefois, par dix-sept coups de téléphone de la mémé de Nicolas. Un seul
incident curieux : la mère de Nicolas a tout le temps des choses qui lui
tombent dans les yeux, et elle a beau se moucher, rien n’y fait...
Le départ
Aujourd’hui, je pars en colonie de vacances et je suis bien content.
La seule chose qui m’ennuie, c’est que Papa et Maman ont l’air un peu
triste ; c’est sûrement parce qu’ils ne sont pas habitués à rester seuls
pendant les vacances.
Maman m’a aidé à faire la valise, avec les chemisettes, les
shorts, les espadrilles, les petites autos, le maillot de bain, les serviettes,
la locomotive du train électrique, les œufs durs, les bananes, les sandwiches
au saucisson et au fromage, le filet pour les crevettes, le pull à manches
longues, les chaussettes et les billes. Bien sûr, on a dû faire quelques
paquets parce que la valise n’était pas assez grande, mais ça ira.
Moi, j’avais peur de rater le train, et après le déjeuner,
j’ai demandé à Papa s’il ne valait pas mieux partir tout de suite pour la gare.
Mais Papa m’a dit que c’était encore un peu tôt, que le train partait à 6
heures du soir et que j’avais l’air bien impatient de les quitter. Et Maman est
partie dans la cuisine avec son mouchoir, en disant qu’elle avait quelque chose
dans l’œil.
Je ne sais pas ce qu’ils ont, Papa et Maman, ils ont l’air
bien embêtés. Tellement embêtés que je n’ose pas leur dire que ça me fait une
grosse boule dans la gorge quand je pense que je ne vais pas les voir pendant
presque un mois. Si je le leur disais, je suis sûr qu’ils se moqueraient de moi
et qu’ils me gronderaient.
Moi, je ne savais pas quoi faire en attendant l’heure de
partir, et Maman n’a pas été contente quand j’ai vidé la valise pour prendre
les billes qui étaient au fond.
— Le petit ne tient plus en place, a dit Maman à Papa.
Au fond, nous ferions peut-être mieux de partir tout de suite.
— Mais, a dit Papa, il manque encore une heure et demie
jusqu’au départ du train.
— Bah ! a dit Maman, en arrivant en avance, nous
trouverons le quai vide et nous éviterons les bousculades et la confusion.
— Si tu veux, a dit Papa.
Nous sommes montés dans la voiture et nous sommes partis.
Deux fois, parce que la première, nous avons oublié la valise à la maison.
A la gare, tout le monde était arrivé en avance. Il y avait
plein de gens partout, qui criaient et faisaient du bruit. On a eu du mal à
trouver une place pour mettre la voiture, très loin de la gare, et on a attendu
Papa, qui a dû revenir à la voiture pour chercher la valise qu’il croyait que
c’était Maman qui l’avait prise. Dans la gare, Papa nous a dit de rester bien
ensemble pour ne pas nous perdre. Et puis il a vu un monsieur en uniforme, qui
était rigolo parce qu’il avait la figure toute rouge et la casquette de
travers.
— Pardon, monsieur, a demandé Papa, le quai numéro 11,
s’il vous plaît ?
— Vous le trouverez entre le quai numéro 10 et le quai
numéro 12, a répondu le monsieur. Du moins, il était là-bas la dernière fois
que j’y suis passé.
— Dites donc, vous..., a dit Papa ; mais Maman a
dit qu’il ne fallait pas s’énerver ni se disputer, qu’on trouverait bien le
quai tout seuls.
Nous sommes arrivés devant le quai, qui était plein, plein,
plein de monde, et Papa a acheté, pour lui et Maman, trois tickets de quai.
Deux pour la première fois et un pour quand il est retourné chercher la valise
qui était restée devant la machine qui donne les tickets.
— Bon, a dit Papa, restons calmes. Nous devons aller
devant la voiture Y.
Comme le wagon qui était le plus près de l’entrée du quai,
c’était la voiture A, on a dû marcher longtemps, et ça n’a pas été facile, à
cause des gens, des chouettes petites voitures pleines de valises et de paniers
et du parapluie du gros monsieur qui s’est accroché au filet à crevettes, et le
monsieur et Papa se sont disputés, mais Maman a tiré Papa par le bras, ce qui a
fait tomber le parapluie du monsieur qui était toujours accroché au filet à
crevettes. Mais ça s’est très bien arrangé, parce qu’avec le bruit de la gare,
on n’a pas entendu ce que criait le monsieur.
Devant le wagon Y, il y avait des tas de types de mon âge,
des papas, des mamans et un monsieur qui tenait une pancarte où c’était écrit
« Camp Bleu » : c’est le nom de la colonie de vacances où je
vais. Tout le monde criait. Le monsieur à la pancarte avait des papiers dans la
main, Papa lui a dit mon nom, le monsieur a cherché dans ses papiers et il a
crié : « Lestouffe ! Encore un pour votre équipe ! »
Et on a vu arriver un grand, il devait avoir au moins
dix-sept ans, comme le frère de mon copain Eudes, celui qui lui apprend à
boxer.
— Bonjour, Nicolas, a dit le grand. Je m’appelle Gérard
Lestouffe et je suis ton chef d’équipe. Notre équipe, c’est l’équipe
Œil-de-Lynx.
Et il m’a donné la main. Très chouette.
— Nous vous le confions, a dit Papa en rigolant.
— Ne craignez rien, a dit mon chef ; quand il
reviendra, vous ne le reconnaîtrez plus.
Et puis Maman a encore eu quelque chose dans l’œil et elle a
dû sortir son mouchoir. Une dame, qui tenait par la main un petit garçon qui
ressemblait à Agnan, surtout à cause des lunettes, s’est approchée de mon chef
et elle lui a dit :
— Vous n’êtes pas un peu jeune pour prendre la
responsabilité de surveiller des enfants ?
— Mais non, madame, a répondu mon chef. Je suis
moniteur diplômé ; vous n’avez rien à craindre.
— Ouais, a dit la dame, enfin... Et comment faites-vous
la cuisine ?
— Pardon ? a demandé mon chef.
— Oui, a dit la dame, vous cuisinez au beurre, à
l’huile, à la graisse ? Parce que je vous préviens tout de suite, le petit
ne supporte pas la graisse. C’est bien simple : si vous voulez qu’il soit
malade, donnez-lui de la graisse !
— Mais madame... a dit mon chef.
— Et puis, a dit la dame, faites-lui prendre son
médicament avant chaque repas, mais surtout pas de graisse ; ce n’est pas
la peine de leur donner des médicaments si c’est pour les rendre malades. Et faites
bien attention qu’il ne tombe pas pendant les escalades.
— Les escalades ? a demandé mon chef, quelles
escalades ?
— Eh bien, celles que vous ferez en montagne ! a
répondu la dame.
— En montagne ? a dit mon chef. Mais il n’y a pas
de montagnes où nous allons, à Plage-les-Trous.
— Comment ! Plage-les-Trous ? a crié la dame.
On m’a dit que les enfants allaient à Sapins-les-Sommets. Quelle
organisation ! Bravo ! Je disais bien que vous étiez trop jeune
pour...
— Le train pour Sapins-les-Sommets, c’est à la voie 4,
madame, a dit un monsieur en uniforme, qui passait. Et vous feriez bien de vous
dépêcher, il part dans trois minutes.
— Oh ! mon Dieu ! a dit la dame, je n’aurai
même pas le temps de leur faire des recommandations !
Et elle est partie en courant avec le type qui ressemblait à
Agnan.
Et puis on a entendu un gros coup de sifflet et tout le
monde est monté dans les wagons en criant, et le monsieur en uniforme est allé
voir le monsieur à la pancarte et il lui a demandé d’empêcher le petit imbécile
qui jouait avec un sifflet de mettre la pagaille partout. Alors, il y en a qui
sont descendus des wagons, et ce n’était pas facile à cause de ceux qui
montaient. Des papas et des mamans criaient des choses, en demandant qu’on
n’oublie pas d’écrire, de bien se couvrir et de ne pas faire de bêtises. Il y
avait des types qui pleuraient et d’autres qui se sont fait gronder parce
qu’ils jouaient au football sur le quai, c’était terrible. On n’a même pas
entendu le monsieur en uniforme qui sifflait, il en avait la figure toute
foncée, comme s’il revenait de vacances. Tout le monde a embrassé tout le monde
et le train est parti pour nous emmener à la mer.
Moi, je regardais par la fenêtre, et je voyais mon papa et
ma maman, tous les papas et toutes les mamans, qui nous faisaient « au
revoir » avec leurs mouchoirs. J’avais de la peine. C’était pas juste,
c’était nous qui partions, et eux ils avaient l’air tellement plus fatigués que
nous. J’avais un peu envie de pleurer, mais je ne l’ai pas fait, parce qu’après
tout, les vacances, c’est fait pour rigoler et tout va très bien se passer.
Et puis, pour la valise, Papa et Maman se débrouilleront
sûrement pour me la faire porter par un autre train.
Tout seul, comme un grand, Nicolas est parti à la colo.
Et s’il a eu un moment de faiblesse en voyant ses parents devenir tout petits,
là-bas, au bout du quai de la gare, Nicolas retrouvera le bon moral qui le
caractérise, grâce au cri de ralliement de son équipe...
Courage !
Le voyage en train s’est très bien passé ; ça prend toute
une nuit pour arriver où nous allons. Dans le compartiment où nous étions,
notre chef d’équipe, qui s’appelle Gérard Lestouffe et qui est très chouette,
nous a dit de dormir et d’être sages pour arriver bien reposés au camp, demain
matin. Il a bien raison. Je dis notre chef d’équipe, parce qu’on nous a
expliqué que nous serions des équipes de douze, avec un chef. Notre équipe
s’appelle l’équipe « Œil-de-Lynx », et notre chef nous a dit que
notre cri de ralliement c’est : « Courage ! »
Bien sûr, on n’a pas pu beaucoup dormir. Il y en avait un
qui pleurait tout le temps et qui disait qu’il voulait rentrer chez son papa et
sa maman. Alors, un autre a rigolé et lui a dit qu’il n’était qu’une fille.
Alors, celui qui pleurait lui a donné une baffe et ils se sont mis à pleurer à
deux, surtout quand le chef leur a dit qu’il allait les faire voyager debout
dans le couloir s’ils continuaient. Et puis, aussi, le premier qui a commencé à
sortir des provisions de sa valise a donné faim à tout le monde, et on s’est tous
mis à manger. Et de mâcher ça empêche de dormir, surtout les biscottes, à cause
du bruit et des miettes. Et puis les types ont commencé à aller au bout du
wagon, et il y en a eu un qui n’est pas revenu et le chef est allé le chercher,
et s’il ne revenait pas, c’était parce que la porte s’était coincée, et il a
fallu appeler le monsieur qui contrôle les billets pour ouvrir la porte, et
tout le monde s’énervait, parce que le type qui était dedans pleurait et criait
qu’il avait peur, et qu’est-ce qu’il allait faire si on arrivait dans une gare,
parce que c’était écrit qu’il était interdit d’être là-dedans quand le train
était dans une gare. Et puis, quand le type est sorti, en nous disant qu’il
avait bien rigolé, le chef nous a dit de revenir tous dans le compartiment, et
ça a été toute une histoire pour retrouver le bon compartiment, parce que comme
tous les types étaient sortis de leurs compartiments, plus personne ne savait
quel était son compartiment, et tout le monde courait et ouvrait des portes. Et
un monsieur a sorti sa tête toute rouge d’un compartiment et il a dit que si on
n’arrêtait pas ce vacarme, il allait se plaindre à la S.N.C.F., où il avait un
ami qui travaillait dans une situation drôlement haute.
On s’est relayés pour dormir, et le matin nous sommes
arrivés à Plage-les-Trous, où des cars nous attendaient pour nous conduire au
camp. Notre chef, il est terrible, n’avait pas l’air trop fatigué. Pourtant, il
a passé la nuit à courir dans le couloir, à faire ouvrir trois fois la porte du
bout du wagon ; deux fois pour faire sortir des types qui y étaient
coincés et une fois pour le monsieur qui avait un ami à la S.N.C.F., et qui a
donné sa carte de visite à notre chef, pour le remercier.
Dans le car, on criait tous, et le chef nous a dit qu’au lieu
de crier, on ferait mieux de chanter. Et il nous a fait chanter des chouettes
chansons, une où ça parle d’un chalet, là-haut sur la montagne, et l’autre où
on dit qu’il y a des cailloux sur toutes les routes. Et puis après, le chef
nous a dit qu’au fond il préférait qu’on se remette à crier, et puis nous
sommes arrivés au camp.
Là, j’ai été un peu déçu. Le camp est joli, bien sûr :
il y a des arbres, il y a des fleurs, mais il n’y a pas de tentes. On va
coucher dans des maisons en bois, et c’est dommage, parce que moi je croyais
qu’on allait vivre dans des tentes, comme des Indiens, et ça aurait été plus
rigolo. On nous a emmenés au milieu du camp, où nous attendaient deux
messieurs. L’un avec pas de cheveux et l’autre avec des lunettes, mais tous les
deux avec des shorts. Le monsieur avec pas de cheveux nous a dit :
— Mes enfants, je suis heureux de vous accueillir dans
le Camp Bleu, où je suis sûr que vous passerez d’excellentes vacances, dans une
ambiance de saine et franche camaraderie, et où nous vous préparerons pour
votre avenir d’hommes, dans le cadre de la discipline librement consentie. Je
suis M. Rateau, le chef du camp, et ici je vous présente M. Genou,
notre économe, qui vous demandera parfois de l’aider dans son travail. Je
compte sur vous pour obéir à ces grands frères que sont vos chefs d’équipe, et
qui vous conduiront maintenant à vos baraques respectives. Et dans dix minutes,
rassemblement pour aller à la plage, pour votre première baignade.
Et puis quelqu’un a crié : « Pour le Camp Bleu, hip
hip ! » et des tas de types ont répondu « Hourra ! ».
Trois fois comme ça. Très rigolo.
Notre chef nous a emmenés, les douze de l’équipe
Œil-de-Lynx, notre équipe, jusqu’à notre baraque. Il nous a dit de choisir nos
lits, de nous installer et de mettre nos slips de bain, qu’il viendrait nous
chercher dans huit minutes.
— Bon, a dit un grand type, moi je prends le lit près
de la porte.
— Et pourquoi, je vous prie ? a demandé un autre
type.
— Parce que je l’ai vu le premier et parce que je suis
le plus fort de tous, voilà pourquoi, a répondu le grand type.
— Non, monsieur ; non, monsieur ! a chanté un
autre type. Le lit près de la porte, il est à moi ! J’y suis déjà !
— Moi aussi, j’y suis déjà ! ont crié deux autres
types.
— Sortez de là, ou je vais me plaindre, a crié le grand
type.
Nous étions huit sur le lit et on allait commencer à se
donner quelques gifles quand notre chef est entré, en slip de bain, avec des
tas de muscles partout.
— Alors ? il a demandé. Qu’est-ce que ça veut
dire ? Vous n’êtes pas encore en slip ? Vous faites plus de bruit que
ceux de toutes les autres baraques réunis. Dépêchez-vous !
— C’est à cause de mon lit..., a commencé à expliquer
le grand type.
— Nous nous occuperons des lits plus tard, a dit le
chef ; maintenant, mettez vos slips. On n’attend plus que nous pour le
rassemblement !
— Moi je veux pas me déshabiller devant tout le
monde ! Moi je veux rentrer chez mon papa et ma maman ! a dit un
type, et il s’est mis à pleurer.
— Allons, allons, a dit le chef. Voyons, Paulin, souviens-toi
du cri de ralliement de notre équipe : « Courage ! » Et
puis, tu es un homme maintenant, tu n’es plus un gamin.
— Si ! Je suis un gamin ! Je suis un
gamin ! Je suis un gamin ! a dit Paulin, et il s’est roulé par terre
en pleurant.
— Chef, j’ai dit, je peux pas me mettre en slip, parce
que mon papa et ma maman ont oublié de me donner ma valise à la gare.
Le chef s’est frotté les joues avec les deux mains et puis
il a dit qu’il y aurait sûrement un camarade qui me prêterait un slip.
— Non monsieur, a dit un type. Ma maman m’a dit qu’il
ne fallait pas prêter mes affaires.
— T’es un radin, et je n’en veux pas de ton slip !
j’ai dit. Et bing ! je lui ai donné une gifle.
— Et qui c’est qui va me détacher mes chaussures ?
a demandé un autre type.
— Chef ! chef ! a crié un type. Toute la
confiture s’est renversée dans ma valise. Qu’est-ce que je fais ?
Et puis on a vu que le chef n’était plus avec nous dans la
baraque.
Quand nous sommes sortis, nous étions tous en slip ; un
chouette type qui s’appelle Bertin m’en avait prêté un ; nous étions les
derniers au rassemblement. C’était drôle à voir, parce que tout le monde était
en slip.
Le seul qui n’était pas en slip, c’était notre chef. Il
était en costume, avec un veston, une cravate et une valise. M. Rateau était
en train de lui parler, et il lui disait :
— Revenez sur votre décision, mon petit ; je suis
sûr que vous saurez les reprendre en main. Courage !
La vie de la colo s’organise ; la vie qui fera des
hommes de Nicolas et de ses amis. Même leur chef d’équipe, Gérard Lestouffe, a
changé depuis le jour de l’arrivée ; et si parfois un peu de lassitude
trouble son regard clair, par contre, il a appris à se crisper, pour ne pas
laisser la panique avoir de prise sur lui...
La baignade
Dans le camp où je passe mes vacances, on fait des tas de
choses dans la journée :
Le matin, on se lève à 8 heures. Vite, vite, il faut
s’habiller, et puis on va au rassemblement. Là, on fait de la gymnastique, une
deux, une deux, et puis après, on court pour faire sa toilette et on s’amuse
bien en se jetant des tas d’eau à la figure les uns des autres. Après, ceux qui
sont de service se dépêchent d’aller chercher le petit déjeuner, et il est
drôlement bon le petit déjeuner, avec beaucoup de tartines. Quand on a vite
fini le petit déjeuner, on court à nos baraques pour faire les lits, mais on ne
les fait pas comme Maman à la maison ; on prend les draps et les
couvertures, on les plie en quatre et on les met sur le matelas. Après ça, il y
a les services, nettoyer les abords, aller chercher des choses pour M. Genou,
l’économe, et puis il y a le rassemblement, il faut y courir, et on part à la
plage pour la baignade. Après, il y a rassemblement de nouveau et on rentre au
camp pour déjeuner, et il est chouette parce qu’on a toujours faim. Après le
déjeuner, on chante des chansons : « En passant par la Lorraine avec
mes sabots » et « C’est nous les gars de la marine ». Et puis il
faut aller faire la sieste ; c’est pas tellement amusant, mais c’est
obligé, même si on trouve des excuses. Pendant la sieste, notre chef d’équipe
nous surveille et nous raconte des histoires. Et puis, il y a un autre
rassemblement et on retourne à la plage, on se baigne, il y a rassemblement et
on retourne au camp pour le dîner. Après le dîner, on chante de nouveau,
quelquefois autour d’un grand feu, et si on n’a pas de jeux de nuit, on va se
coucher et il faut vite éteindre la lumière et dormir. Le restant du temps, on
peut faire ce qu’on veut.
Ce que j’aime le mieux, moi, c’est la baignade. On y va tous
avec nos chefs d’équipe et la plage est pour nous. Ce n’est pas tellement que
les autres n’ont pas le droit d’y venir, mais quand ils y viennent, ils s’en
vont. C’est peut-être parce qu’on fait beaucoup de bruit et qu’on joue à des
tas de choses sur le sable.
On nous range par équipes. La mienne s’appelle l’équipe
Œil-de-Lynx ; on est douze, on a un chef d’équipe très chouette et notre
cri de ralliement, c’est : « Courage ! » Le chef d’équipe
nous fait mettre autour de lui, et puis il nous dit : « Bon. Je ne
veux pas d’imprudences. Vous allez rester tous groupés et ne vous éloignez pas
trop du bord. Au coup de sifflet, vous retournez sur la plage. Je veux vous
voir tous. Interdiction de nager sous l’eau ! Celui qui n’obéit pas sera
privé de baignade. Vu ? Allez, pas de gymnastique, tous à
l’eau ! » Et notre chef d’équipe a donné un gros coup de sifflet et
nous sommes tous allés avec lui dans l’eau. Elle était froide, elle faisait des
vagues, ce qu’elle pouvait être chouette !
Et puis on a vu que tous ceux de l’équipe n’étaient pas dans
l’eau. Sur la plage, il en était resté un qui pleurait. C’était Paulin, qui
pleure toujours et qui dit qu’il veut rentrer chez son papa et sa maman.
— Allons, Paulin ! Viens ! a crié notre chef
d’équipe.
— Non, a crié Paulin. J’ai peur ! Je veux rentrer
chez mon papa et ma maman ! Et il s’est roulé sur le sable en criant qu’il
était très malheureux.
— Bon, a dit le chef, restez groupés et ne bougez pas,
je vais aller chercher votre camarade.
Et le chef est sorti de l’eau et il est allé parler à
Paulin.
— Mais enfin, p’tit gars, il lui a dit, le chef, il ne
faut pas avoir peur.
— Si, il faut ! a crié Paulin. Si, il faut !
— Il n’y a aucun danger, a dit le chef. Viens,
donne-moi la main, nous entrerons ensemble dans l’eau et je ne te lâcherai pas.
Paulin, en pleurant, lui a donné la main et il s’est fait
tirer jusqu’à l’eau. Quand il a eu les pieds mouillés, il s’est mis à
faire : « Hou hou ! C’est froid ! J’ai peur ! Je vais
mourir ! Hou ! »
— Mais puisque je te dis qu’il n’y a aucun... a commencé
à dire le chef ; et puis il a ouvert des grands yeux et il a crié :
— Qui c’est, celui qui nage là-bas, vers la
bouée ?
— C’est Crépin, a dit un des types de l’équipe ;
il nage drôlement bien, il nous a parié qu’il allait jusqu’à la bouée.
Le chef a lâché la main de Paulin et il s’est mis à courir
dans l’eau et à nager en criant :
« Crépin ! Ici ! Tout de suite ! »
et à siffler, et avec l’eau, le sifflet faisait un bruit de bulles. Et Paulin
s’est mis à crier : « Ne me laissez pas seul ! Je vais me noyer !
Hou ! Hou ! Papa ! Maman ! Hou ! » Et comme il
avait juste les pieds dans l’eau, il était rigolo à voir.
Le chef est revenu avec Crépin, qui était tout fâché parce
que le chef lui a dit de sortir de l’eau et de rester sur la plage. Et puis le
chef a commencé à nous compter, et ça n’a pas été facile, parce que pendant
qu’il n’était pas là, on était un peu partis chacun de notre côté, et comme le
chef avait perdu son sifflet en allant chercher Crépin, il s’est mis à
crier : « Équipe Œil-de-Lynx ! Rassemblement ! Équipe
Œil-de-Lynx ! Courage ! Courage ! »
Et puis un autre chef d’équipe est venu et lui a dit :
« Dis, Gérard, braille un peu moins fort, mes gars n’entendent plus mes
coups de sifflet. » Et il faut dire que les chefs d’équipe faisaient un drôle
de bruit en sifflant, criant et appelant. Et puis le chef nous a comptés, il a
vu qu’on était tous là et il a envoyé Gualbert rejoindre Crépin sur la plage,
parce qu’il était dans l’eau jusqu’au menton, et il criait : « Je
suis tombé dans un trou ! Au secours ! Je suis tombé dans un
trou ! » Mais la vérité, c’est qu’il était accroupi. Il est rigolo,
Gualbert !
Et puis les chefs d’équipe ont décidé que c’était assez de
baignade pour ce matin et ils se sont mis à crier et à siffler :
« Rassemblement par équipes sur la plage ! » On s’est mis en
rang et notre chef nous a comptés. « Onze ! il a dit. Il en manque
un ! » C’était Paulin, qui était assis dans l’eau et qui ne voulait
pas en sortir.
— Je veux rester dans l’eau ! il criait. Si je
sors, je vais avoir froid ! Je veux rester !
Le chef, qui avait l’air de s’énerver, l’a ramené en le
tirant par le bras et Paulin criait qu’il voulait rentrer chez son papa, chez
sa maman, et dans l’eau. Et puis, quand le chef nous a comptés de nouveau, il a
vu qu’il en manquait encore un.
— C’est Crépin... on lui a dit.
— Il n’est pas reparti dans l’eau ? a demandé
notre chef, qui est devenu tout pâle.
Mais le chef de l’équipe à côté de la nôtre lui a dit :
« J’en ai un de trop, il ne serait pas à toi, par hasard ? » Et
c’était Crépin, qui était allé parler à un type qui avait une tablette en
chocolat.
Quand le chef est revenu avec Crépin, il nous a comptés de
nouveau, et il a vu que nous étions treize.
— Lequel n’est pas de l’équipe Œil-de-Lynx ? a
demandé le chef.
— Moi, m’sieur, a dit un petit type qu’on ne
connaissait pas.
— Et tu es de quelle équipe, a dit le chef, celle des
Aiglons ? celle des Jaguars ?
— Non, a dit le petit type, je suis de l’hôtel Bellevue
et de la Plage. Mon papa, c’est celui qui dort, là-bas sur la jetée.
Et le petit type a appelé : « Papa !
papa ! » Et le monsieur qui dormait a levé la tête et puis tout
doucement il est venu vers nous.
— Qu’est ce qu’il y a encore, Bobo ? a demandé le
monsieur.
Alors, notre chef d’équipe a dit :
— Votre petit est venu jouer avec nos enfants. On
dirait que ça le tente, les colonies de vacances.
Alors, le monsieur a dit :
— Oui, mais je ne l’y enverrai jamais. Je ne veux pas
vous vexer, mais sans les parents, j’ai l’impression que les enfants ne sont
pas surveillés.
S’il y a une chose que M. Rateau, le chef de
la colo, aime bien, à part les enfants, c’est les promenades en forêt. C’est
pour cela que M. Rateau a attendu la fin du dîner avec impatience
pour exposer sa petite idée...
La pointe des Bourrasques
Hier, après le dîner, M. Rateau, qui est le chef de la
colonie de vacances où mon papa et ma maman m’ont envoyé (et c’était une
chouette idée), nous a tous réunis et nous a dit : « Demain, nous
allons tous partir en excursion à la pointe des Bourrasques. A pied, à travers
les bois, sac au dos, comme des hommes. Ce sera pour vous une splendide
promenade et une expérience exaltante. »
Et M. Rateau nous a dit que nous partirions de très
bonne heure le matin et que M. Genou, l’économe, nous donnerait des
casse-croûte avant de partir. Alors on a tous crié : « Hip, hip,
hourra » trois fois, et nous sommes allés nous coucher très énervés.
Le matin, à 6 heures, notre chef d’équipe est venu dans
notre baraque pour nous réveiller, et il a eu beaucoup de mal.
— Mettez vos grosses chaussures et prenez un chandail,
nous a dit notre chef. Et n’oubliez pas la musette pour mettre le casse-croûte.
Emportez le ballon de volley, aussi.
— Chef, chef, a dit Bertin, je peux emporter mon
appareil de photo ?
— Bien sûr, Bertin, a dit le chef, comme ça tu prendras
des photos de nous tous sur la pointe des Bourrasques. Ce sera un chic
souvenir !
— Hé les gars ! Hé les gars ! a crié Bertin
tout fier, vous avez entendu ? Je vais prendre des photos !
— T’es un crâneur, toi et ton appareil de photo, a
répondu Crépin. On s’en fiche de ton appareil de photo, et puis je ne me
laisserai pas prendre en photo par toi. Je bougerai.
— Tu parles comme ça de mon appareil de photo parce que
tu es jaloux, a dit Bertin, parce que tu n’en as pas, d’appareil de photo !
— Je n’ai pas d’appareil de photo, moi ? a dit
Crépin. Laisse-moi rigoler ! Chez moi, j’en ai un plus chouette que toi
d’appareil de photo, alors !
— T’es un menteur et un imbécile, a dit Bertin ;
et ils ont commencé à se battre, mais ils ont arrêté parce que le chef a dit
que s’ils continuaient à faire les guignols, ils n’iraient pas à la pointe des
Bourrasques.
Et puis le chef nous a dit de nous dépêcher parce qu’on
allait être en retard pour le rassemblement.
On a pris un gros petit déjeuner, et ensuite nous sommes
allés en file devant la cuisine, où M. Genou nous donnait à chacun un
casse-croûte et une orange. Ça a pris assez de temps, et M. Genou avait
l’air de commencer à s’énerver. Surtout quand Paulin a soulevé le pain et il a
dit :
— M’sieur, il y a du gras.
— Eh bien, tu n’auras qu’à le manger, a dit M. Genou.
— A la maison, a dit Paulin, ma maman ne veut jamais
que je mange le gras, et puis j’aime pas ça.
— Alors, tu n’auras qu’à le laisser, le gras, a dit M. Genou.
— Mais vous m’aviez dit de le manger, a dit Paulin.
C’est pas juste ! Moi je veux rentrer chez mon papa et ma maman. Et il
s’est mis à pleurer.
Mais ça s’est arrangé parce que Gualbert, qui avait déjà
mangé son gras, a changé son casse-croûte contre celui de Paulin.
Nous sommes sortis du camp, avec M. Rateau devant et
tous les autres rangés par équipes avec nos chefs, derrière lui. C’était comme
un vrai défilé ; on nous a fait chanter des tas de choses et on chantait
très fort parce qu’on était très fiers. Ce qui est dommage, c’est que comme
c’était tôt le matin, il n’y avait personne pour nous voir, surtout quand on
est passé devant les hôtels où les autres gens sont en vacances. Il y a tout de
même une fenêtre qui s’est ouverte et un monsieur a crié :
— Vous n’êtes pas un peu fous de crier comme ça à cette
heure-ci ?
Et puis une autre fenêtre s’est ouverte et un autre monsieur
a crié :
— C’est vous, monsieur Patin, qui hurlez comme
ça ? C’est pas assez de supporter vos rejetons toute la journée ?
— Pas la peine de crâner parce que vous prenez des
suppléments à table, Lanchois ! a crié le premier monsieur. Et puis encore
une autre fenêtre s’est ouverte et un autre monsieur s’est mis à crier des
choses, mais nous ne savons pas quoi, parce que nous étions déjà loin, et comme
on chantait fort on n’entendait pas bien.
Et puis, nous sommes sortis de la route et nous avons
traversé un champ, et beaucoup ne voulaient pas y aller parce qu’il y avait
trois vaches ; mais on nous a dit que nous étions des hommes, qu’il ne
fallait pas avoir peur et on nous a forcés à y aller. Là, les seuls qui
chantaient, c’étaient M. Rateau et les chefs d’équipe. Nous, on a repris
en chœur quand nous sommes sortis du champ pour entrer dans les bois.
Ils sont chouettes, les bois, avec des tas et des tas
d’arbres, comme vous n’en avez jamais vu. Il y a tellement de feuilles qu’on ne
voit pas le ciel et il ne fait pas clair du tout, et il n’y a même pas de
chemin. On a dû s’arrêter parce que Paulin s’est roulé par terre en criant
qu’il avait peur de se perdre et d’être mangé par les bêtes des bois.
— Écoute, p’tit gars, a dit notre chef d’équipe, tu es
insupportable ! Regarde tes camarades, est-ce qu’ils ont peur, eux ?
Et puis un autre type s’est mis à pleurer, en disant que
oui, que lui aussi il avait peur, et il y en a eu trois ou quatre qui se sont
mis à pleurer aussi, mais je crois qu’il y en a qui faisaient ça pour rigoler.
Alors, M. Rateau est venu en courant et il nous a
réunis autour de lui, ce qui n’était pas facile à cause des arbres. Il nous a
expliqué que nous devions agir comme des hommes et il nous a dit qu’il y avait
des tas de façons de retrouver sa route. D’abord il y avait la boussole, et
puis le soleil, et puis les étoiles, et puis la mousse sur les arbres, et puis
il y était déjà allé l’année dernière, il connaissait le chemin, et assez ri
comme ça, en avant marche !
On n’a pas pu partir tout de suite, parce qu’il a fallu
réunir les copains qui s’étaient un peu éloignés dans les bois. Il y en avait
deux qui jouaient à cache-cache ; un, on l’a trouvé tout de suite, mais
l’autre il a fallu crier « Pouce » pour qu’il sorte de derrière son
arbre. Il y en avait un autre qui cherchait des champignons, trois qui jouaient
au volley-ball et Gualbert qui a eu du mal à descendre de l’arbre où il était monté
pour voir s’il y avait des cerises. Et quand tout le monde a été là et qu’on
allait se remettre à marcher, Bertin a crié :
— Chef ! Il faut qu’on rentre au camp ! J’ai
oublié mon appareil de photo !
Et comme Crépin s’est mis à rigoler, ils ont commencé à se
battre, mais ils se sont arrêtés quand notre chef d’équipe a crié :
« Assez, ou c’est la fessée ! » On était tous très étonnés c’est
la première fois qu’on l’entend crier comme ça, notre chef d’équipe !
On a marché très, très longtemps dans les bois, on commençait
à être fatigués, et puis on s’est arrêtés. M. Rateau s’est gratté la tête
et puis il a réuni les chefs d’équipe autour de lui. Ils faisaient tous des
gestes en montrant des directions différentes, et j’ai entendu M. Rateau
qui disait : « C’est drôle, ils ont dû faire des coupes depuis
l’année dernière, je ne retrouve plus mes repères. » Et puis, à la fin, il
a mis un doigt dans sa bouche, il l’a levé en l’air et il s’est remis à marcher
et nous on l’a suivi. C’est drôle, il ne nous avait pas parlé de ce système
pour retrouver son chemin.
Et puis, après avoir beaucoup marché, on est enfin sorti des
bois et nous avons retraversé le champ. Mais les vaches n’y étaient plus, sans
doute à cause de la pluie qui s’est mise à tomber. Alors, nous avons couru jusqu’à
la route, et nous sommes entrés dans un garage, où nous avons mangé nos
casse-croûte, nous avons chanté et nous avons bien rigolé. Et puis, quand la
pluie a cessé de tomber, comme il était très tard, nous sommes rentrés au camp.
Mais M. Rateau nous a dit qu’il ne se tenait pas pour battu, que demain ou
après-demain, nous irions à la pointe des Bourrasques.
En car...
Ma chère maman, mon cher papa,
Je suis très sage, je mange de tout, je m’amuse bien et
je voudrais que vous écriviez une lettre d’excuses à M. Rateau pour
lui dire que je ne dois pas faire la sieste, comme la lettre que j’ai apportée
à la maîtresse la fois où papa et moi nous n’avons pas réussi à faire le
problème d’arithmétique...
(Extrait d’une lettre de Nicolas à ses parents)
La sieste
Ce que je n’aime pas à la colonie de vacances, c’est que
tous les jours, après le déjeuner, on est de sieste. Et la sieste, elle est
obligatoire, même si on invente des excuses pour ne pas la faire. Et c’est pas
juste, quoi, à la fin, parce qu’après le matin, où nous nous sommes levés, nous
avons fait la gymnastique, notre toilette, nos lits, pris le petit déjeuner,
être allés à la plage, nous être baignés et avoir joué sur le sable, il n’y a
vraiment pas de raison pour que nous soyons fatigués et que nous allions nous
coucher.
Pour la sieste, la seule chose de bien, c’est que notre chef
d’équipe vient nous surveiller dans notre baraque et il nous raconte des
histoires pour que nous nous tenions tranquilles, et ça c’est chouette.
— Bon ! a dit notre chef d’équipe, tout le monde
sur son lit, et que je ne vous entende plus.
Nous, on a tous obéi, sauf Bertin qui s’est mis sous son
lit.
— Bertin ! a crié notre chef d’équipe. C’est
toujours le même qui fait le pitre ! Ça ne m’étonne pas, tu es le plus
insupportable de la bande !
— Ben quoi, chef, a dit Bertin, je cherche mes
espadrilles.
Bertin, c’est mon copain, et c’est vrai qu’il est
insupportable ; on rigole bien avec lui.
Quand Bertin s’est couché comme les autres, le chef nous a
dit de dormir et de ne pas faire de bruit pour ne pas déranger ceux des autres
baraques.
— Une histoire, chef ! Une histoire ! nous
avons tous crié.
Le chef a fait un gros soupir et il a dit que bon, d’accord,
mais silence.
— Il y avait une fois, a dit le chef, dans un très
lointain pays, un calife qui était très bon, mais qui avait un très méchant
vizir...
Le chef s’est arrêté et il a demandé :
— Qui peut nous dire ce qu’est un vizir ?
Et Bertin a levé le doigt.
— Eh bien ! Bertin ? a demandé le chef.
— Je peux sortir, chef ? a dit Bertin.
Le chef l’a regardé avec des yeux tout petits ; il a
pris plein d’air dans sa bouche, et puis il a dit : « Bon, vas-y,
mais reviens vite », et Bertin est sorti.
Et puis le chef a continué à se promener dans le couloir
entre les lits et à nous raconter son histoire. Je dois dire que moi j’aime
mieux les histoires avec des cow-boys, des Indiens ou des aviateurs. Le chef
parlait, personne ne faisait de bruit et j’avais les yeux qui se fermaient, et
puis j’étais à cheval, habillé en cow-boy, avec des chouettes revolvers en
argent à la ceinture, et je commandais des tas de cow-boys, parce que j’étais
le shérif, et les Indiens allaient nous attaquer et il y en a un qui a
crié : « Regardez les gars ! J’ai trouvé un œuf ! »
Je me suis assis d’un coup sur mon lit et j’ai vu que
c’était Bertin qui était entré dans la baraque, avec un œuf dans la main.
On s’est tous levés pour aller voir.
— Couchez-vous ! Couchez-vous tous ! a crié
le chef, qui n’avait pas l’air content du tout.
— A votre avis, chef, c’est un œuf de quoi ? a
demandé Bertin.
Mais le chef lui a dit que ça ne le regardait pas, et qu’il
aille remettre l’œuf où il l’avait trouvé et qu’il revienne se coucher. Et
Bertin est ressorti avec son œuf.
Comme plus personne ne dormait, le chef a continué à nous raconter
son histoire. C’était pas mal, surtout la partie où le chouette calife se
déguise pour savoir ce que les gens pensent de lui, et le grand vizir, qui est
drôlement méchant, en profite pour prendre sa place. Et puis le chef s’est
arrêté, et il a dit :
— Mais que fait donc ce garnement de Bertin ?
— Si vous voulez, chef, je peux aller le chercher, a
dit Crépin.
— Bon, a dit le chef, mais ne t’attarde pas. Crépin est
sorti et il est revenu tout de suite en courant.
— Chef ! Chef ! a crié Crépin, Bertin est sur
un arbre et il ne peut plus en descendre !
Le chef est sorti en courant et nous on l’a tous suivi, même
qu’il a fallu réveiller Gualbert qui dormait et qui n’avait rien entendu.
Bertin était assis sur une branche, tout en haut d’un arbre,
et il n’avait pas l’air content.
— Le voilà ! Le voilà ! on a tous crié en le
montrant du doigt.
— Silence ! a crié notre chef d’équipe. Bertin,
qu’est-ce que tu fais là-haut ?
— Ben ! a dit Bertin, je suis allé remettre l’œuf
où je l’avais trouvé, comme vous me l’aviez dit, et je l’avais trouvé ici, dans
un nid. Mais en montant, il y a une branche qui s’est cassée et je ne peux plus
descendre.
Et Bertin s’est mis à pleurer. Il a une voix terrible,
Bertin : quand il pleure, on l’entend de loin. Et puis de la baraque à
côté de l’arbre, est sorti le chef d’une autre équipe, qui avait l’air très
fâché.
— C’est toi et ton équipe qui faites tout ce
bruit ? il a demandé à notre chef d’équipe. Tu as réveillé tous mes zèbres
et je venais à peine de réussir à les endormir.
— Plains-toi, a crié notre chef, moi j’en ai un sur
l’arbre, là !
L’autre chef d’équipe a regardé et il s’est mis à rigoler,
mais pas pour longtemps, parce que tous les types de son équipe sont sortis de
leur baraque pour voir ce qui se passait. On était un tas de monde autour de
l’arbre.
— Rentrez vous coucher ! a crié le chef de l’autre
équipe. Tu vois ce que tu as réussi à faire ? Tu n’as qu’à mieux tenir tes
zèbres. Quand on ne sait pas se faire obéir, on ne se met pas chef d’équipe
dans une colonie de vacances !
— Je voudrais t’y voir, a dit notre chef, et puis tes
zèbres à toi, ils font autant de bruit que mes zèbres à moi !
— Oui, a dit l’autre chef d’équipe, mais ce sont tes
zèbres à toi qui ont réveillé mes zèbres à moi !
— Chef, je voudrais descendre ! a crié Bertin.
Alors, les chefs ont cessé de se disputer et ils sont allés
chercher une échelle.
— Faut être un peu bête pour rester coincé comme ça sur
un arbre, a dit un type de l’autre équipe.
— Ça te regarde ? j’ai demandé.
— Ouais ! a dit un autre type de l’autre équipe.
Dans votre équipe, vous êtes tous bêtes, c’est bien connu !
— Répète un peu !... a demandé Gualbert.
Et comme l’autre a répété, nous avons commencé à nous
battre.
— Hé, les gars ! Hé ! Attendez qu’on me
descende pour commencer ! a crié Bertin. Hé, les gars !
Et puis les chefs sont revenus en courant avec une échelle
et M. Rateau, le chef du camp, qui voulait savoir ce qui se passait. Tout
le monde criait, c’était très chouette, et les chefs avaient l’air très fâché,
peut-être parce que Bertin ne les avait pas attendus pour descendre de l’arbre,
tellement il avait été pressé de venir rigoler avec nous.
— Rentrez dans vos baraques, tous ! a crié M. Rateau,
et il avait la voix du Bouillon, qui est mon surveillant à l’école.
Et nous sommes retournés pour faire la sieste.
Ça n’a pas été pour très longtemps, parce que c’était
l’heure du rassemblement, et notre chef d’équipe nous a tous fait sortir. Il
avait l’air content. Je crois que lui non plus n’aime pas la sieste.
Ce qui a encore fait des histoires, c’est que Bertin s’était
endormi sur son lit, et il ne voulait pas se lever.
Mon chéri,
Nous espérons que tu es bien sage, que tu manges tout ce
qu’on te donne et que tu t’amuses bien. Pour la sieste, M. Rateau a
raison ; il faut que tu te reposes, et que tu dormes aussi bien après le
déjeuner qu’après le dîner. Si on te laissait faire, nous te connaissons, mon
poussin, tu voudrais jouer même la nuit. Heureusement que tes supérieurs sont
là pour te surveiller, et il faut toujours leur obéir. Pour le problème
d’arithmétique, papa dit qu’il avait trouvé la solution, mais qu’il voulait que
tu y arrives par toi-même...
(Extrait d’une lettre des parents de Nicolas à Nicolas)
Jeu de nuit
Hier soir, pendant le dîner, M. Rateau, qui est le chef
du camp, parlait avec nos chefs d’équipe et ils se disaient des tas de choses à
voix basse en nous regardant de temps en temps. Et puis, après le dessert – de
la confiture de groseilles, c’était bien – on nous a dit d’aller vite nous
coucher.
Notre chef d’équipe est venu nous voir dans notre baraque,
il nous a demandé si on était en forme, et puis il nous a dit de nous endormir
bien vite, parce qu’on aurait besoin de toutes nos forces.
— Pour quoi faire, chef ? a demandé Calixte.
— Vous verrez, a dit le chef, et puis il nous a dit
bonne nuit et il a éteint la lumière.
Moi, je sentais bien que cette nuit c’était pas comme les
autres nuits, et j’ai vu que je ne pourrais pas dormir ; ça me fait
toujours ça quand je m’énerve avant de me coucher.
Je me suis réveillé tout d’un coup en entendant des cris et
des coups de sifflet.
— Jeu de nuit ! Jeu de nuit ! Rassemblement
pour le jeu de nuit ! on criait dehors.
On s’est tous assis dans notre lit, sauf Gualbert, qui
n’avait rien entendu et qui dormait, et Paulin qui avait eu peur et qui
pleurait sous sa couverture et on ne le voyait pas, mais on l’entendait et ça
faisait : « Hmm hmm hmm » ; mais nous on le connaît et on
savait qu’il criait qu’il voulait retourner chez son papa et sa maman, comme il
dit toujours.
Et puis la porte de notre baraque s’est ouverte, notre chef
d’équipe est entré, il a allumé la lumière et il nous a dit de nous habiller
tous en vitesse pour aller au rassemblement pour le jeu de nuit, et de bien
nous couvrir avec nos chandails. Alors, Paulin a sorti sa tête de dessous sa
couverture et il s’est mis à crier qu’il avait peur de sortir la nuit, et que
de toute façon son papa et sa maman ne le laissaient jamais sortir la nuit, et
qu’il n’allait pas sortir la nuit.
— Bon, a dit notre chef d’équipe, tu n’as qu’à rester
ici.
Alors, Paulin s’est levé et ça a été le premier à être prêt
et à sortir, parce qu’il disait qu’il avait peur de rester seul dans la baraque
et qu’il se plaindrait à son papa et à sa maman.
On a fait le rassemblement au milieu du camp, et comme il
était très tard la nuit et qu’il faisait noir, on avait allumé les lumières,
mais on n’y voyait quand même pas beaucoup.
M. Rateau nous attendait.
— Mes chers enfants, nous a dit M. Rateau, nous
allons faire un jeu de nuit, M. Genou, notre économe, que nous aimons tous
bien, est parti avec un fanion. Il s’agit pour vous de retrouver M. Genou
et de ramener son fanion au camp. Vous agirez par équipes, et l’équipe qui
rapportera le fanion aura droit à une distribution supplémentaire de chocolat. M. Genou
nous a laissé quelques indications qui vous permettront de le retrouver plus
facilement ; écoutez bien : « Je suis parti vers la Chine, et
devant un tas de trois gros cailloux blancs...» Ça ne vous ferait rien de ne
pas faire de bruit quand je parle ?
Bertin a rangé son sifflet dans sa poche et M. Rateau a
continué :
« – Et devant un tas de trois gros cailloux blancs,
j’ai changé d’avis et je suis allé dans les bois. Mais pour ne pas me perdre,
j’ai fait comme le Petit Poucet et...» Pour la dernière fois, voulez-vous
cesser de jouer avec ce sifflet ?
— Oh ! pardon, monsieur Rateau, a dit un chef
d’équipe, j’ai cru que vous aviez fini.
M. Rateau a fait un gros soupir, et il a dit :
— Bien. Vous avez là les indications qui vous
permettront de retrouver M. Genou et son fanion si vous faites preuve
d’ingéniosité, de perspicacité et d’initiative. Restez bien groupés par
équipes, et que le meilleur gagne. Allez-y !
Et les chefs d’équipe ont donné des tas de coups de sifflet,
tout le monde s’est mis à courir partout, mais sans sortir du camp, parce que
personne ne savait où aller.
On était drôlement contents : jouer comme ça la nuit,
c’est une aventure terrible.
— Je vais aller chercher ma lampe électrique, a crié
Calixte.
Mais notre chef d’équipe l’a rappelé.
— Ne vous éparpillez pas, il nous a dit. Discutez entre
vous pour savoir comment commencer vos recherches. Et faites vite si vous ne
voulez pas qu’une autre équipe arrive avant vous à retrouver M. Genou.
Là, je crois qu’il n’y avait pas trop à s’inquiéter, parce
que tout le monde courait et criait, mais personne n’était encore sorti du
camp.
— Voyons, a dit notre chef d’équipe. Réfléchissez. M. Genou
a dit qu’il était parti vers la Chine. Dans quelle direction se trouve ce pays
d’Orient ?
— Moi, j’ai un atlas où il y a la Chine, nous a dit
Crépin. C’est ma tante Rosalie qui me l’a donné pour mon anniversaire ;
j’aurais préféré un vélo.
— Moi, j’ai un chouette vélo, chez moi, a dit Bertin.
— De course ? j’ai demandé.
— L’écoute pas, a dit Crépin, il raconte des
blagues !
— Et la baffe que tu vas recevoir, c’est une
blague ? a demandé Bertin.
— La Chine se trouve à l’Est ! a crié notre chef
d’équipe.
— Et l’Est, c’est où ? a demandé un type.
— Hé, chef, a crié Calixte, ce type, il est pas de chez
nous ! C’est un espion !
— Je suis pas un espion, a crié le type. Je suis de
l’équipe des Aigles, et c’est la meilleure équipe de la colo !
— Eh bien, va la rejoindre, ton équipe, a dit notre
chef.
— C’est que je sais pas où elle est, a dit le type, et
il s’est mis à pleurer.
Il était bête, le type, parce qu’elle ne devait pas être
bien loin, son équipe, puisque personne n’était encore sorti du camp.
— Le soleil, a dit notre chef d’équipe, se lève de quel
côté ?
— Il se lève du côté de Gualbert, qui a son lit à côté
de la fenêtre ! Même qu’il se plaint que ça le réveille, a dit Jonas.
— Hé ! chef, a crié Crépin, il est pas là,
Gualbert !
— C’est vrai, a dit Bertin, il s’est pas réveillé. Il
dort drôlement, Gualbert. Je vais aller le chercher.
— Fais vite ! a crié le chef.
Bertin est parti en courant et puis il est revenu en disant
que Gualbert avait sommeil et qu’il ne voulait pas venir.
— Tant pis pour lui, a dit le chef. Nous avons perdu
assez de temps comme ça !
Mais comme personne n’était encore sorti du camp, ce n’était
pas bien grave.
Et puis, M. Rateau, qui était resté debout au milieu du
camp, s’est mis à crier :
— Un peu de silence ! Les chefs d’équipe, faites
de l’ordre ! Réunissez vos équipes pour commencer le jeu !
Ça, ça a été un drôle de travail, parce que dans le noir on
s’était un peu mélangés. Chez nous, il y en avait un des Aigles et deux des
Braves. Paulin, on l’a vite retrouvé chez les Sioux, parce qu’on a reconnu sa
façon de pleurer. Calixte était allé espionner chez les Trappeurs, qui
cherchaient leur chef d’équipe.
On rigolait bien, et puis il s’est mis à pleuvoir fort comme
tout.
— Le jeu est suspendu ! a crié M. Rateau. Que
les équipes retournent dans leurs baraques !
Et ça, ça a été vite fait, parce qu’heureusement, personne
n’était encore sorti du camp.
M. Genou, on l’a vu revenir le lendemain matin, avec son
fanion, dans la voiture du fermier qui a le champ d’orangers. Après, on nous a
dit que M. Genou s’était caché dans le bois de pins. Et puis, quand il
s’était mis à pleuvoir, il en avait eu assez de nous attendre et il avait voulu
revenir au camp. Mais il s’était perdu dans les bois et il était tombé dans un
fossé plein d’eau. Là, il s’était mis à crier et ça avait fait aboyer le chien
du fermier. Et c’est comme ça que le fermier avait pu trouver M. Genou et
le ramener dans sa ferme pour le sécher et lui faire passer la nuit.
Ce qu’on nous a pas dit, c’est si on avait donné au fermier
la distribution supplémentaire de chocolat. Il y avait droit, pourtant !
« La pêche à la ligne a une influence calmante
indéniable ? ». Ces quelques mots lus dans un magazine ont fortement
impressionné Gérard Lestouffe, le jeune chef de l’équipe Œil-de-Lynx, qui a
passé une nuit délicieuse à rêver de douze petits garçons immobiles et
silencieux, en train de surveiller attentivement douze bouchons ballottés sur
l’onde paisible...
La soupe de poisson
Ce matin, notre chef d’équipe est entré dans la baraque et
il nous a dit : « Eh, les gars ! Pour changer, au lieu d’aller à
la baignade avec les autres, ça vous amuserait d’aller à la pêche ? »
« Oui ! » on a répondu tous. Presque tous, parce que Paulin n’a
rien dit, il se méfie toujours et il veut rentrer chez son papa et sa maman.
Gualbert non plus n’a rien dit. Il dormait encore.
— Bon, a dit notre chef. J’ai déjà prévenu le cuisinier
pour lui dire que nous lui apporterons du poisson pour midi. C’est notre équipe
qui offrira la soupe de poisson à tout le camp. Comme ça, les autres équipes
sauront que l’équipe Œil-de-Lynx est la meilleure de toutes. Pour l’équipe Œil-de-Lynx...
hip hip !
— Hourra ! on a tous crié, sauf Gualbert.
— Et notre mot de passe, c’est ?... nous a demandé
notre chef.
— Courage ! on a tous répondu, même Gualbert qui
venait de se réveiller.
Après le rassemblement, pendant que les autres allaient à la
plage, M. Rateau, le chef du camp, nous a fait distribuer des cannes à
pêche et une vieille boîte pleine de vers. « Ne rentrez pas trop tard, que
j’aie le temps de préparer la soupe ! » a crié le cuisinier en
rigolant. Il rigole toujours le cuisinier, et nous on l’aime bien. Quand on va
le voir dans sa cuisine, il se met à crier : « Dehors, bande de
petits mendiants ! Je vais vous chasser avec ma grosse louche ! Vous
allez voir ! » et il nous donne des biscuits.
Nous sommes partis avec nos cannes à pêche et nos vers, et
nous sommes arrivés sur la jetée, tout au bout. Il n’y avait personne, sauf un
gros monsieur avec un petit chapeau blanc qui était en train de pêcher, et qui
n’a pas eu l’air tellement content de nous voir.
— Avant tout, pour pêcher, a dit notre chef, il faut du
silence, sinon, les poissons ont peur et ils s’écartent ! Pas
d’imprudences, je ne veux voir personne tomber dans l’eau ! Restez
groupés ! Interdiction de descendre dans les rochers ! Faites bien
attention de ne pas vous faire mal avec les hameçons.
— C’est pas un peu fini ? a demandé le gros
monsieur.
— Hein ? a demandé notre chef, tout étonné.
— Je vous demande si vous n’avez pas un peu fini de
hurler comme un putois, a dit le gros monsieur. A crier comme ça, vous
effrayeriez une baleine !
— Il y a des baleines par ici ? a demandé Bertin.
— S’il y a des baleines, moi je m’en vais ! a crié
Paulin, et il s’est mis à pleurer, en disant qu’il avait peur et qu’il voulait
rentrer chez son papa et sa maman. Mais il n’est pas parti, celui qui est
parti, c’est le gros monsieur, et c’était tant mieux, parce que comme ça on
était entre nous, sans qu’il y ait personne pour nous déranger.
— Quels sont ceux d’entre vous qui sont déjà allés à la
pêche ? a demandé notre chef.
— Moi, a dit Athanase. L’été dernier, j’ai pêché un
poisson comme ça ! et il a ouvert les bras autant qu’il a pu. Nous on a
rigolé parce qu’Athanase est très menteur ; c’est même le plus menteur de
nous tous.
— T’es un menteur, lui a dit Bertin.
— T’es jaloux et bête, a dit Athanase. Comme ça qu’il
était mon poisson ! Et Bertin a profité qu’Athanase ait les bras écartés
pour lui coller une gifle.
— Assez, vous deux, ou je vous défends de pêcher !
C’est compris ? a crié le chef. Athanase et Bertin se sont tenus
tranquilles, mais Athanase a encore dit qu’on verrait bien le poisson qu’il
sortirait, non mais sans blague ! et Bertin a dit qu’il était sûr que son
poisson à lui serait le plus grand de tous.
Le chef nous a montré comment il fallait faire pour mettre
un ver au bout de l’hameçon. « Et surtout, il nous a dit, faites bien
attention de ne pas vous faire de mal avec les hameçons ! » On a tous
essayé de faire comme le chef, mais ce n’est pas facile, et le chef nous a
aidés, surtout Paulin qui avait peur des vers et qui a demandé s’ils mordaient.
Dès qu’il a eu un ver à son hameçon, Paulin, vite, vite, il a jeté la ligne à
l’eau, pour éloigner le ver le plus possible. On avait tous mis nos lignes dans
l’eau, sauf Athanase et Bertin qui avaient emmêlé leurs lignes, et Gualbert et
Calixte qui étaient occupés à faire une course de vers sur la jetée.
« Surveillez bien vos bouchons ! » a dit le chef.
Nous, les bouchons, on les surveillait, mais il ne se
passait pas grand-chose, et puis, Paulin a poussé un cri, il a levé sa canne et
au bout de la ligne il y avait un poisson. « Un poisson ! a crié
Paulin. Maman ! » et il a lâché la canne qui est tombée sur les
rochers. Le chef s’est passé la main sur la figure, il a regardé Paulin qui
pleurait, et puis il a dit : « Attendez-moi là, je vais aller
chercher la canne de ce petit... de ce petit maladroit. » Le chef est
descendu sur les rochers, et c’est dangereux parce que c’est très glissant,
mais tout s’est bien passé, sauf que ça a fait des histoires quand Crépin est
descendu aussi pour aider le chef, et il a glissé dans l’eau, mais le chef a pu
le rattraper, et il criait tellement fort le chef, que très loin, sur la plage,
on a vu des gens qui se levaient pour voir. Quand le chef a rendu la canne à
Paulin, le poisson n’était plus au bout de la ligne. Là où Paulin a été
vraiment content, c’est que le ver n’y était plus non plus. Et Paulin a été
d’accord pour continuer à pêcher, à condition qu’on ne lui remette pas de ver à
l’hameçon.
Le premier poisson, c’est Gualbert qui l’a eu. C’était son
jour à Gualbert : il avait gagné la course de vers, et maintenant, il
avait un poisson. On est tous allés voir. Il était pas très gros, son poisson,
mais Gualbert était fier quand même et le chef l’a félicité. Après, Gualbert a
dit qu’il avait fini, puisqu’il avait eu son poisson. Il s’est allongé sur la
jetée et il a dormi. Le deuxième poisson, vous ne devinerez jamais qui l’a
eu ! C’est moi ! Un poisson formidable ! Vraiment
terrible ! Il était à peine un peu plus petit que celui de Gualbert, mais
il était très bien. Ce qui est dommage, c’est que le chef s’est fait mal au
doigt avec l’hameçon, en le décrochant (c’est drôle, je l’aurais parié que ça
allait lui arriver). C’est peut-être pour ça que le chef a dit qu’il était
l’heure de rentrer. Athanase et Bertin ont protesté parce qu’ils n’avaient pas
encore réussi à démêler leurs lignes.
En donnant les poissons au cuisinier, on était un peu
embêtés, parce que deux poissons pour faire la soupe pour tout le camp, c’est
peut-être pas beaucoup. Mais le cuisinier s’est mis à rigoler et il nous a dit
que c’était parfait, que c’était juste ce qu’il fallait. Et pour nous
récompenser, il nous a donné des biscuits.
Eh bien, le cuisinier, il est formidable ! La soupe
était très bonne et M. Rateau a crié :
« Pour l’équipe Œil-de-Lynx... hip hip...»
« Hourra ! » a crié tout le monde, et nous
aussi, parce que nous étions drôlement fiers.
Après, j’ai demandé au cuisinier comment ça se faisait que
les poissons de la soupe étaient si gros et si nombreux. Alors, le cuisinier
s’est mis à rigoler, et il m’a expliqué que les poissons, ça gonfle à la
cuisson. Et comme il est chouette, il m’a donné une tartine à la confiture.
Cher Monsieur, chère Madame,
Crépin se porte très bien, et je suis heureux de vous
dire que nous sommes très contents de lui. Cet enfant est parfaitement adapté
et s’entend très bien avec ses camarades. Il a peut-être parfois un peu
tendance à jouer au « dur » (si vous me passez l’expression). Il veut
que ses camarades le considèrent comme un homme et comme un chef. Dynamique,
avec un sens très poussé de l’initiative, Crépin a un ascendant très vif sur
ses jeunes amis, qui admirent, inconsciemment, son équilibre. Je serai très
heureux de vous voir, lors de votre passage dans la région...
(Extrait d’une lettre de M. Rateau aux
parents de Crépin)
Crépin a des visites
La colonie de vacances où je suis, le Camp Bleu, est très
bien. On est des tas de copains et on s’amuse drôlement. La seule chose, c’est
que nos papas et nos mamans ne sont pas là. Oh ! bien sûr, on s’écrit des
tas de lettres, les papas, les mamans et nous. Nous, on raconte ce qu’on fait,
on dit qu’on est sages, qu’on mange bien, qu’on rigole et qu’on les embrasse
très fort, et eux, ils nous répondent que nous devons être obéissants, qu’on
doit manger de tout, qu’on doit être prudents et qu’ils nous font des grosses
bises ; mais ce n’est pas la même chose que quand nos papas et nos mamans
sont là.
C’est pour ça que Crépin a eu drôlement de la chance. On
venait de s’asseoir pour déjeuner, quand M. Rateau, le chef du camp, est
entré avec un gros sourire sur sa figure, et il a dit :
— Crépin, une bonne surprise pour toi, ta maman et ton
papa sont venus te rendre visite.
Et nous sommes tous sortis pour voir.
Crépin a sauté au cou de sa maman, et puis à celui de son
papa, il les a embrassés, ils lui ont dit qu’il avait grandi et qu’il était
bien brûlé par le soleil. Crépin a demandé s’ils lui avaient apporté le train
électrique et ils avaient l’air tout contents de se voir. Et puis Crépin leur a
dit, à son papa et à sa maman :
— Ça, c’est les copains. Celui-là, c’est Bertin ;
l’autre, c’est Nicolas, et puis Gualbert, et puis Paulin, et puis Athanase, et
puis les autres, et ça c’est notre chef d’équipe, et ça c’est notre baraque et
hier j’ai pêché des tas de crevettes.
— Vous partagerez bien notre déjeuner ? a demandé M. Rateau.
— Nous ne voudrions pas vous déranger, a dit le papa de
Crépin, nous sommes juste de passage.
— Par curiosité, j’aimerais bien voir ce qu’ils mangent
les petiots, a dit la maman de Crépin.
— Mais avec plaisir, chère madame, a dit M. Rateau.
Je vais faire prévenir le chef de préparer deux rations supplémentaires.
Et nous sommes tous revenus dans le réfectoire.
La maman et le papa de Crépin étaient à la table de M. Rateau,
avec M. Genou, qui est notre économe. Crépin est resté avec nous, il était
drôlement fier et il nous a demandé si on avait vu l’auto de son papa. M. Rateau
a dit à la maman et au papa de Crépin que tout le monde au camp était très
content de Crépin, qu’il avait des tas d’initiatives et de dynamismes. Et puis
on a commencé à manger.
— Mais c’est très bon ! a dit le papa de Crépin.
— Une nourriture simple, mais abondante et saine, a dit
M. Rateau.
— Enlève bien la peau de ton saucisson, mon gros lapin,
et mâche bien ! a crié la maman de Crépin à Crépin.
Et Crépin, ça n’a pas paru lui plaire que sa maman lui dise
ça. Peut-être parce qu’il avait déjà mangé son saucisson avec la peau. Il faut
dire que pour manger, il a des dynamismes terribles, Crépin. Et puis, on a eu
du poisson.
— C’est bien meilleur que dans l’hôtel où nous étions
sur la Costa Brava, a expliqué le papa de Crépin ; là-bas, l’huile...
— Les arêtes ! Attention aux arêtes, mon gros
lapin ! a crié la maman de Crépin. Souviens-toi comme tu as pleuré à la
maison, le jour où tu en as avalé une !
— J’ai pas pleuré, il a dit Crépin, et il est devenu
tout rouge ; il avait l’air encore plus brûlé par le soleil qu’avant.
On a eu le dessert, de la crème, très chouette, et après M. Rateau
a dit :
— Nous avons l’habitude, après les repas, de chanter
quelques chansons.
Et puis M. Rateau s’est levé, il nous a dit :
— Attention !
Il a remué les bras, et on a chanté le coup, là, où il y a
des cailloux sur toutes les routes, et puis après, celle du petit navire, où on
tire à la courte-paille pour savoir qui, qui, qui sera mangé, ohé !
ohé ! et le papa de Crépin, qui avait l’air de bien s’amuser, nous a
aidés ; il est terrible pour les ohé ! ohé ! Quand on a eu fini,
la maman de Crépin a dit :
— Lapin, chante-nous la petite balançoire !
Et elle a expliqué à M. Rateau que Crépin chantait ça
quand il était tout petit, avant que son papa insiste pour qu’on lui coupe les
cheveux, et c’est dommage, parce qu’il était terrible avec ses boucles. Mais
Crépin n’a pas voulu chanter, il a dit qu’il la savait plus la chanson, et sa
maman a voulu l’aider :
— Youp-là, youp-là, la petite balançoire...
Mais même là, Crépin n’a pas voulu, et il n’a pas eu l’air
content que Bertin se mette à rigoler. Et puis M. Rateau a dit qu’il était
l’heure de se lever de table.
Nous sommes sortis du réfectoire, et le papa de Crépin a
demandé ce qu’on faisait à cette heure-ci, d’habitude.
— Ils font la sieste, a dit M. Rateau, c’est
obligatoire. Il faut qu’ils se reposent et qu’ils se détendent.
— C’est très judicieux, a dit le papa de Crépin.
— Moi, je veux pas faire la sieste, a dit Crépin, je
veux rester avec mon papa et ma maman !
— Mais oui, mon gros lapin, a dit la maman de Crépin,
je suis sûre que M. Rateau fera une exception pour toi, aujourd’hui.
— S’il ne fait pas la sieste, je la fais pas non
plus ! a dit Bertin.
— Moi je m’en fiche que tu fasses pas la sieste, a
répondu Crépin. Moi, en tout cas, je la fais pas !
— Et pourquoi tu la ferais pas la sieste, s’il vous
plaît ? a demandé Athanase.
— Ouais, a dit Calixte, si Crépin fait pas la sieste,
personne la fait, la sieste.
— Et pourquoi je la ferais pas la sieste ? a
demandé Gualbert. Moi j’ai sommeil, et j’ai le droit de faire la sieste, même
si cet imbécile ne la fait pas.
— Tu veux une baffe ? a demandé Calixte.
Alors M. Rateau, qui a eu l’air de se fâcher tout d’un
coup, a dit :
— Silence ! Tout le monde fera la sieste ! Un
point, c’est tout !
Alors, Crépin s’est mis à crier, à pleurer, à faire des tas
de gestes avec les mains et les pieds, et ça nous a étonnés, parce que c’est
plutôt Paulin qui fait ça. Paulin, c’est un copain qui pleure tout le temps et
qui dit qu’il veut retourner chez son papa et sa maman, mais là, il ne disait
rien, tellement il était étonné d’en voir pleurer un autre que lui.
Le papa de Crépin a eu l’air très embêté.
— De toute façon, il a dit, nous devons repartir tout
de suite, si nous voulons arriver cette nuit comme prévu...
La maman de Crépin a dit que c’était plus sage, en effet.
Elle a embrassé Crépin, lui a fait des tas de conseils, lui a promis des tas de
jouets, et puis elle a dit au revoir à M. Rateau.
— C’est très bien chez vous, elle a dit. Je trouve
seulement que, loin de leurs parents, les enfants sont un peu nerveux. Ce
serait une bonne chose, si les parents venaient les voir régulièrement. Ça les
calmerait, ça leur rendrait leur équilibre de se retrouver dans l’atmosphère
familiale.
Et puis, nous sommes tous allés faire la sieste. Crépin ne
pleurait plus, et si Bertin n’avait pas dit : « Lapin, chante-nous la
petite balançoire », je crois que nous ne nous serions pas tous battus.
Les vacances se terminent, et il va falloir quitter la
colo. C’est triste, bien sûr, mais les enfants se consolent en pensant que
leurs parents seront très contents de les revoir. Et avant le départ, il y a eu
une grande veillée d’adieu au Camp Bleu. Chaque équipe a fait montre de ses
talents ; celle de Nicolas a clos la fête en faisant une pyramide humaine.
Au sommet de la pyramide, un des jeunes gymnastes a agité le fanion de l’équipe
Œil-de-Lynx, et tout le monde a poussé le cri de ralliement
« Courage ! »
Courage qu’ils ont tous eu au moment des adieux, sauf
Paulin, qui pleurait et qui criait qu’il voulait rester au camp.
Souvenirs de vacances
Moi, je suis rentré de vacances ; j’étais dans une colo,
et c’était très bien.
Quand nous sommes arrivés à la gare avec le train, il y
avait tous les papas et toutes les mamans qui nous attendaient. C’était
terrible : tout le monde criait, il y en avait qui pleuraient parce qu’ils
n’avaient pas encore retrouvé leurs mamans et leurs papas, d’autres qui riaient
parce qu’ils les avaient retrouvés, les chefs d’équipe qui nous accompagnaient
sifflaient pour que nous restions en rang, les employés de la gare sifflaient
pour que les chefs d’équipe ne sifflent plus, ils avaient peur qu’ils fassent
partir les trains, et puis j’ai vu mon papa et ma maman, et là, ça a été
chouette comme je ne peux pas vous dire. J’ai sauté dans les bras de ma maman,
et puis dans ceux de mon papa, et on s’est embrassés, et ils m’ont dit que
j’avais grandi, que j’étais tout brun, et maman avait les yeux mouillés et papa
il rigolait doucement en faisant « hé hé » et il me passait sa main
sur les cheveux, moi j’ai commencé à leur raconter mes vacances, et nous sommes
partis de la gare, et papa a perdu ma valise.
J’ai été content de retrouver la maison, elle sent bon, et
puis ma chambre avec tous les jouets, et maman est allée préparer le déjeuner,
et ça c’est chouette, parce qu’à la colo, on mangeait bien, mais maman cuisine
mieux que tout le monde, et même quand elle rate un gâteau, il est meilleur que
n’importe quoi que vous ayez jamais mangé. Papa s’est assis dans un fauteuil
pour lire son journal et moi je lui ai demandé :
— Et qu’est-ce que je fais maintenant ?
— Je ne sais pas moi, a dit papa, tu dois être fatigué
du voyage, va te reposer dans ta chambre.
— Mais je ne suis pas fatigué, j’ai dit.
— Alors va jouer, m’a dit papa.
— Avec qui ? j’ai dit.
— Avec qui, avec qui, en voilà une question ! a
dit papa. Avec personne, je suppose.
— Moi je sais pas jouer tout seul, j’ai dit, c’est pas
juste, à la colo, on était des tas de copains et il y avait toujours des choses
à faire.
Alors papa a mis le journal sur ses genoux, il m’a fait les
gros yeux et il m’a dit : « Tu n’es plus à la colo ici, et tu vas me
faire le plaisir d’aller jouer tout seul ! » Alors moi je me suis mis
à pleurer, maman est sortie en courant de la cuisine, elle a dit :
« Ça commence bien », elle m’a consolé et elle m’a dit qu’en
attendant le déjeuner, j’aille jouer dans le jardin, que peut-être je pourrais
inviter Marie-Edwige qui venait de rentrer de vacances. Alors je suis sorti en
courant pendant que maman parlait avec papa. Je crois qu’ils parlaient de moi,
ils sont très contents que je sois revenu.
Marie-Edwige, c’est la fille de M. et Mme Courteplaque, qui
sont nos voisins. M. Courteplaque est chef du rayon de chaussures aux
magasins du « Petit Épargnant », troisième étage, et il se dispute
souvent avec papa. Mais Marie-Edwige, elle est très chouette, même si c’est une
fille. Et là, c’était de la veine, parce que quand je suis sorti dans notre
jardin, j’ai vu Marie-Edwige qui jouait dans le sien.
— Bonjour Marie-Edwige, j’ai dit, tu viens jouer dans
le jardin avec moi ?
— Oui, a dit Marie-Edwige, et elle est passée par le trou
dans la haie que papa et M. Courte-plaque ne veulent pas arranger parce
que chacun dit que le trou est dans le jardin de l’autre. Marie-Edwige, depuis
que je l’ai vue la dernière fois avant les vacances, est devenue toute foncée,
et avec ses yeux tout bleus et ses cheveux tout blonds, ça fait très joli. Non,
vraiment, même si c’est une fille, elle est très chouette, Marie-Edwige.
— T’as passé de bonnes vacances ? m’a demandé
Marie-Edwige.
— Terribles ! je lui ai dit. J’étais dans une
colo, il y avait des équipes, et la mienne c’était la meilleure, elle
s’appelait « Œil-de-Lynx » et c’était moi le chef.
— Je croyais que les chefs c’étaient des grands, m’a
dit Marie-Edwige.
— Oui, j’ai dit, mais moi, j’étais l’aide du chef, et
il ne faisait rien sans me demander. Celui qui commandait vraiment, c’était
moi.
— Et il y avait des filles, dans la colo ? m’a
demandé Marie-Edwige.
— Peuh ! j’ai répondu, bien sûr que non, c’était
trop dangereux pour les filles. On faisait des choses terribles, et puis moi,
j’ai dû en sauver deux qui se noyaient.
— Tu racontes des blagues, m’a dit Marie-Edwige.
— Comment des blagues ? j’ai crié. C’est pas deux
fois, mais trois, j’en avais oublié un. Et puis à la pêche, c’est moi qui ai
gagné le concours, j’ai sorti un poisson, comme ça ! et j’ai écarté les
bras autant que je pouvais et Marie-Edwige s’est mise à rigoler comme si elle
ne me croyait pas. Et ça, ça ne m’a pas plu ; c’est vrai, avec les filles
on ne peut pas parler. Alors, je lui ai raconté la fois où j’avais aidé la
police à retrouver un voleur qui était venu se cacher dans le camp et la fois
où j’avais nagé jusqu’au phare et retour, et tout le monde était très inquiet,
mais quand je suis revenu à la plage, tout le monde m’avait félicité et avait
dit que j’étais un champion terrible, et puis la fois aussi, où tous les
copains du camp s’étaient perdus dans la forêt, pleine de bêtes sauvages, et
moi je les avais retrouvés.
— Moi, a dit Marie-Edwige, j’étais à la plage avec ma
maman et mon papa, et je me suis fait un petit copain qui s’appelait Jeannot et
qui était terrible pour les galipettes...
— Marie-Edwige ! a crié Mme Courteplaque qui était
sortie de la maison, reviens tout de suite, le déjeuner est servi !
— Je te raconterai plus tard, m’a dit Marie-Edwige, et
elle est partie en courant par le trou de la haie.
Quand je suis rentré dans ma maison, papa m’a regardé et il
m’a dit : « Alors, Nicolas, tu as retrouvé ta petite camarade ?
Tu es de meilleure humeur maintenant ? » Alors, moi, j’ai pas
répondu, je suis monté en courant dans ma chambre et j’ai donné un coup de pied
dans la porte de l’armoire.
C’est vrai, quoi, à la fin, qu’est-ce qu’elle a Marie-Edwige
à me raconter des tas de blagues sur ses vacances ? D’abord, ça ne
m’intéresse pas.
Et puis son Jeannot, c’est un imbécile et un laid !
Fin du tome 3
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