Ñïàñèáî, ÷òî ñêà÷àëè êíèãó â áåñïëàòíîé ýëåêòðîííîé áèáëèîòåêå BooksCafe.Net
Âñå êíèãè àâòîðà
Ýòà æå êíèãà â äðóãèõ ôîðìàòàõ
Ïðèÿòíîãî ÷òåíèÿ!
Vanina Vanini
Stendhal
Vanina VaniniStendhal
Publication: 1839
Catégorie(s): Fiction, Nouvelles
Source: http://www.ebooksgratuits.com
A Propos Stendhal:
Marie-Henri Beyle (January 23, 1783 – March 23, 1842), better
known by his penname Stendhal, was a 19th century French writer.
Known for his acute analysis of his characters' psychology, he is
considered one of the earliest and foremost practitioners of the
realism in his two novels Le Rouge et le Noir (The Red and the
Black, 1830) and La Chartreuse de Parme (The Charterhouse of Parma,
1839). Source: Wikipedia
Disponible sur Feedbooks
Stendhal:
Le Rouge et le
Noir (1830)
La Chartreuse de
Parme (1839)
Armance
(1827)
L'abbesse de
Castro (1839)
Le Coffre et le
Revenant (1839)
La Duchesse de
Palliano (1839)
Les Cenci
(1839)
Trop de Faveur
Tue (1839)
Suora
scolastica (1839)
San Francesco a
Ripa (1839)
Note: This book is brought to
you by Feedbooks
http://www.feedbooks.com
Strictly for personal use, do not use this file for commercial
purposes.
C'était un soir du printemps de 182. Tout Rome était en
mouvement : M. le duc de B**, ce fameux banquier, donnait un bal
dans son nouveau palais de la place de Venise. Tout ce que les arts
de l'Italie, tout ce que le luxe de Paris et de Londres peuvent
produire de plus magnifique avait été réuni pour l'embellissement
de ce palais. Le concours était immense. Les beautés blondes et
réservées de la noble Angleterre avaient brigué l'honneur
d'assister à ce bal ; elles arrivaient en foule. Les plus
belles femmes de Rome leur disputaient le prix de la beauté. Une
jeune fille que l'éclat de ses yeux et ses cheveux d'ébène
proclamaient Romaine entra conduite par son père ; tous les
regards la suivirent. Un orgueil singulier éclatait dans chacun de
ses mouvements.
On voyait les étrangers qui entraient frappés de la magnificence
de ce bal. « Les fêtes d'aucun des rois de l'Europe, disaient-ils,
n'approchent point de ceci. »
Les rois n'ont pas un palais d'architecture romaine : ils sont
obligés d'inviter les grandes dames de leur cour ; M. le duc
de B*** ne prie que de jolies femmes. Ce soir-là il avait été
heureux dans ses invitations ; les hommes semblaient éblouis.
Parmi tant de femmes remarquables il fut question de décider quelle
était la plus belle : le choix resta quelque temps indécis ;
mais enfin la princesse Vanina Vanini, cette jeune fille aux
cheveux noirs et à l'œil de feu, fut proclamée la reine du bal.
Aussitôt les étrangers et les jeunes Romains, abandonnant tous les
autres salons, firent foule dans celui où elle était.
Son père, le prince don Asdrubale Vanini, avait voulu qu'elle
dansât d'abord avec deux ou trois souverains d'Allemagne. Elle
accepta ensuite les invitations de quelques Anglais fort beaux et
fort nobles ; leur air empesé l'ennuya. Elle parut prendre
plus de plaisir à tourmenter le jeune Livio Savelli qui semblait
fort amoureux. C'était le jeune homme le plus brillant de Rome, et
de plus lui aussi était prince ; mais si on lui eût donné à
lire un roman, il eût jeté le volume au bout de vingt pages, disant
qu'il lui donnait mal à la tête. C'était un désavantage aux yeux de
Vanina.
Vers le minuit une nouvelle se répandit dans le bal, et fit
assez d'effet. Un jeune carbonaro, détenu au fort Saint-Ange,
venait de se sauver le soir même, à l'aide d'un déguisement, et,
par un excès d'audace romanesque, arrivé au dernier corps de garde
de la prison, il avait attaqué les soldats avec un poignard ;
mais il avait été blessé lui-même, les sbires le suivaient dans les
rues à la trace de son sang, et on espérait le revoir.
Comme on racontait cette anecdote, don Livio Savelli, ébloui des
grâces et des succès de Vanina, avec laquelle il venait de danser,
lui disait en la reconduisant à sa place, et presque fou d'amour
:
– Mais, de grâce, qui donc pourrait vous plaire ?
– Ce jeune carbonaro qui vient de s'échapper, lui répondit
Vanina ; au moins celui-là a fait quelque chose de plus que de
se donner la peine de naître.
Le prince don Asdrubale s'approcha de sa fille. C'est un homme
riche qui depuis vingt ans n'a pas compté avec son intendant,
lequel lui prête ses propres revenus à un intérêt fort élevé. Si
vous le rencontrez dans la rue, vous le prendrez pour un vieux
comédien ; vous ne remarquerez pas que ses mains sont chargées
de cinq ou six bagues énormes garnies de diamants fort gros. Ses
deux fils se sont faits jésuites, et ensuite sont mort fous. Il les
a oubliés ; mais il est fâché que sa fille unique, Vanina, ne
veuille pas se marier. Elle a déjà dix-neuf ans, et a refusé les
partis les plus brillants. Quelle est sa raison ? la même que
celle de Sylla pour abdiquer, son mépris pour les Romains.
Le lendemain du bal, Vanina remarqua que son père, le plus
négligent des hommes, et qui de la vie ne s'était donné la peine de
prendre une clef, fermait avec beaucoup d'attention la porte d'un
petit escalier qui conduisait à un appartement situé au troisième
étage du palais. Cet appartement avait des fenêtres sur une
terrasse garnie d'orangers. Vanina alla faire quelques visites dans
Rome ; au retour, la grande porte du palais étant embarrassée
par les préparatifs d'une illumination, la voiture rentra par les
cours de derrière. Vanina leva les yeux, et vit avec étonnement
qu'une des fenêtres de l'appartement que son père avait fermée avec
tant de soin était ouverte. Elle se débarrassa de sa dame de
compagnie, monta dans les combles du palais, et à force de chercher
parvint à trouver une petite fenêtre grillée qui donnait sur la
terrasse garnie d'orangers. La fenêtre ouverte qu'elle avait
remarquée était à deux pas d'elle. Sans doute cette chambre était
habitée ; mais par qui ? Le lendemain Vanina parvint à se
procurer la clef d'une petite porte qui ouvrait sur la terrasse
garnie d'orangers.
Elle s'approcha à pas de loup de la fenêtre qui était encore
ouverte. Une persienne servit à la cacher. Au fond de la chambre il
y avait un lit et quelqu'un dans ce lit. Son premier mouvement fut
de se retirer ; mais elle aperçut une robe de femme jetée sur
la chaise. En regardant mieux la personne qui était au lit, elle
vit qu'elle était blonde, et apparemment fort jeune. Elle ne douta
plus que ce ne fût une femme. La robe jetée sur une chaise était
ensanglantée ; il y avait aussi du sang sur des souliers de
femme placés sur une table. L'inconnue fit un mouvement ;
Vanina s'aperçut qu'elle était blessée. Un grand linge taché de
sang couvrait sa poitrine ; ce linge n'était fixé que par des
rubans ; ce n'était pas la main d'un chirurgien qui l'avait
placé ainsi. Vanina remarqua que chaque jour, vers les quatre
heures, son père s'enfermait dans son appartement, et ensuite
allait vers l'inconnue ; il redescendait bientôt, et montait
en voiture pour aller chez la comtesse Vitteleschi. Dès qu'il était
sorti, Vanina montait à la petite terrasse, d'où elle pouvait
apercevoir l'inconnue. Sa sensibilité était vivement excitée en
faveur de cette jeune femme si malheureuse ; elle cherchait à
deviner son aventure. La robe ensanglantée jetée sur une chaise
paraissait avoir été percée de coups de poignard. Vanina pouvait
compter les déchirures. Un jour elle vit l'inconnue plus
distinctement : ses yeux bleus étaient fixés dans le ciel ;
elle semblait prier. Bientôt des larmes remplirent ses beaux yeux :
la jeune princesse eut bien de la peine à ne pas lui parler. Le
lendemain Vanina osa se cacher sur la petite terrasse avant
l'arrivée de son père. Elle vit don Asdrubale entrer chez
l'inconnue ; il portait un petit panier où étaient des
provisions. Le prince avait l'air inquiet, et ne dit pas
grand'-chose. Il parlait si bas que, quoique la porte-fenêtre fût
ouverte, Vanina ne put entendre ses paroles. Il partit
aussitôt.
« Il faut que cette pauvre femme ait des ennemis bien terribles,
se dit Vanina, pour que mon père, d'un caractère si insouciant,
n'ose se confier à personne et se donne la peine de monter cent
vingt marches chaque jour. »
Un soir, comme Vanina avançait doucement la tête vers la croisée
de l'inconnue, elle rencontra ses yeux, et tout fut découvert.
Vanina se jeta à genoux, et s'écria :
– Je vous aime, je vous suis dévouée.
L'inconnue lui fit signe d'entrer.
– Que je vous dois d'excuses, s'écria Vanina, et que ma sotte
curiosité doit vous sembler offensante ! Je vous jure le
secret, et, si vous l'exigez, jamais je ne reviendrai.
– Qui pourrait ne pas trouver du bonheur à vous voir ? dit
l'inconnue. Habitez-vous ce palais ?
– Sans doute, répondit Vanina. Mais je vois que vous ne me
connaissez pas : je suis Vanina, fille de don Asdrubale.
L'inconnue la regarda d'un air étonné, rougit beaucoup, puis
ajouta :
– Daignez me faire espérer que vous viendrez me voir tous les
jours ; mais je désirerais que le prince ne sût pas vos
visites.
Le cœur de Vanina battait avec force ; les manières de
l'inconnue lui semblaient remplies de distinction. Cette pauvre
jeune femme avait sans doute offensé quelque homme puissant ;
peut-être dans un moment de jalousie avait-elle tué son
amant ? Vanina ne pouvait voir une cause vulgaire à son
malheur. L'inconnue lui dit qu'elle avait reçu une blessure dans
l'épaule, qui avait pénétré jusqu'à la poitrine et la faisait
beaucoup souffrir. Souvent elle se trouvait la bouche pleine de
sang.
– Et vous n'avez pas de chirurgien ! s'écria Vanina.
– Vous savez qu'à Rome, dit l'inconnue, les chirurgiens doivent
à la police un rapport exact de toutes les blessures qu'ils
soignent. Le prince daigne lui-même serrer mes blessures avec le
linge que vous voyez.
L'inconnue évitait avec une grâce parfaite de s'apitoyer sur son
accident ; Vanina l'aimait à la folie. Une chose pourtant
étonna beaucoup la jeune princesse, c'est qu'au milieu d'une
conversation assurément fort sérieuse l'inconnue eut beaucoup de
peine à supprimer une envie subite de rire.
– Je serai heureuse, lui dit Vanina, de savoir votre nom.
– On m'appelle Clémentine.
– Eh bien, chère Clémentine, demain à cinq heures je viendrai
vous voir.
Le lendemain Vanina trouva sa nouvelle amie fort mal.
– Je veux vous amener un chirurgien, dit Vanina en
l'embrassant.
– J'aimerai mieux mourir, dit l'inconnue. Voudrais-je
compromettre mes bienfaiteurs ?
– Le chirurgien de Mgr Savelli-Catanzara, le gouverneur de Rome,
est fils d'un de nos domestiques, reprit vivement Vanina ; il
nous est dévoué, et par sa position ne craint personne. Mon père ne
rend pas justice à sa fidélité ; je vais le faire
demander.
– Je ne veux pas de chirurgien, s'écria l'inconnue avec une
vivacité qui surprit Vanina. Venez me voir, et si Dieu doit
m'appeler à lui, je mourrai heureuse dans vos bras.
Le lendemain, l'inconnue était plus mal.
– Si vous m'aimez, dit Vanina en la quittant, vous verrez un
chirurgien.
– S'il vient, mon bonheur s'évanouit.
– Je vais l'envoyer chercher, reprit Vanina.
Sans rien dire, l'inconnue la retint, et prit sa main qu'elle
couvrit de baisers. Il y eut un long silence, l'inconnue avait les
larmes aux yeux. Enfin, elle quitta la main de Vanina, et de l'air
dont elle serait allée à la mort, lui dit :
– J'ai un aveu à vous faire. Avant-hier, j'ai menti en disant
que je m'appelais Clémentine ; je suis un malheureux
carbonaro…
Vanina étonnée recula sa chaise et bientôt se leva.
– Je sens, continua le carbonaro, que cet aveu va me faire
perdre le seul bien qui m'attache à la vie ; mais il est
indigne de moi de vous tromper. Je m'appelle Pietro
Missirilli ; j'ai dix-neuf ans ; mon père est un pauvre
chirurgien de Saint-Angelo-in-Vado, moi je suis carbonaro. On a
surpris notre vente ; j'ai été amené, enchaîné, de la Romagne
à Rome. Plongé dans un cachot éclairé jour et nuit par une lampe,
j'y ai passé treize mois. Une âme charitable a eu l'idée de me
faire sauver. On m'a habillé en femme. Comme je sortais de prison
et passais devant les gardes de la dernière porte, l'un d'eux a
maudit les carbonari ; je lui ai donné un soufflet. Je vous
assure que ce ne fut pas une vaine bravade, mais tout simplement
une distraction. Poursuivi dans la nuit dans les rues de Rome après
cette imprudence, blessé à coups de baïonnette, perdant déjà mes
forces, je monte dans une maison dont la porte était ouverte ;
j'entends les soldats qui montent après moi, je saute dans un
jardin ; je tombe à quelques pas d'une femme qui se
promenait.
– La comtesse Vitteleschi ! l'amie de mon père, dit
Vanina.
– Quoi ! vous l'a-t-elle dit ? s'écria Missirilli.
Quoi qu'il en soit, cette dame, dont le nom ne doit jamais être
prononcé, me sauva la vie. Comme les soldats entraient chez elle
pour me saisir, votre père m'en faisait sortir dans sa voiture. Je
me sens fort mal : depuis quelques jours ce coup de baïonnette dans
l'épaule m'empêche de respirer. Je vais mourir, et désespéré,
puisque je ne vous verrai plus.
Vanina avait écouté avec impatience ; elle sortit
rapidement : Missirilli ne trouva nulle pitié dans ces yeux si
beaux, mais seulement l'expression d'un caractère altier que l'on
vient de blesser.
A la nuit, un chirurgien parut ; il était seul, Missirilli
fut au désespoir ; il craignait de ne revoir jamais Vanina. Il
fit des questions au chirurgien, qui le saigna et ne lui répondit
pas. Même silence les jours suivants. Les yeux de Pietro ne
quittaient pas la fenêtre de la terrasse par laquelle Vanina avait
coutume d'entrer ; il était fort malheureux. Une fois, vers
minuit, il crut apercevoir quelqu'un dans l'ombre sur la terrasse :
était-ce Vanina ?
Vanina venait toutes les nuits coller sa joue contre les vitres
de la fenêtre du jeune carbonaro.
« Si je lui parle, se disait-elle, je suis perdue ! Non,
jamais je ne dois le revoir ! »
Cette résolution arrêtée, elle se rappelait, malgré elle,
l'amitié qu'elle avait prise pour ce jeune homme, quand si
sottement elle le croyait une femme. Après une intimité si douce,
il fallait donc l'oublier ! Dans ses moments les plus
raisonnables, Vanina était effrayée du changement qui avait lieu
dans ses idées. Depuis que Missirilli s'était nommé, toutes les
choses auxquelles elle avait l'habitude de penser s'étaient comme
recouvertes d'un voile, et ne paraissaient plus que dans
l'éloignement.
Une semaine ne s'était pas écoulée, que Vanina, pâle et
tremblante, entra dans la chambre du jeune carbonaro avec le
chirurgien. Elle venait de lui dire qu'il fallait engager le prince
à se faire remplacer par un domestique. Elle ne resta pas dix
secondes ; mais quelques jours après elle revint encore avec
le chirurgien, par humanité. Un soir, quoique Missirilli fût bien
mieux, et que Vanina n'eût plus le prétexte de craindre pour sa
vie, elle osa venir seule. En la voyant, Missirilli fut au comble
du bonheur, mais il songea à cacher son amour ; avant tout, il
ne voulait pas s'écarter de la dignité convenable à un homme.
Vanina, qui était entrée chez lui le front couvert de rougeur, et
craignant des propos d'amour, fut déconcertée de l'amitié noble et
dévouée, mais fort peu tendre, avec laquelle il la reçut. Elle
partit sans qu'il essayât de la retenir.
Quelques jours après, lorsqu'elle revint, même conduite, mêmes
assurances de dévouement respectueux et de reconnaissance
éternelle. Bien loin d'être occupée à mettre un frein aux
transports du jeune carbonaro, Vanina se demanda si elle aimait
seule. Cette jeune fille, jusque-là si fière, sentit amèrement
toute l'étendue de sa folie. Elle affecta de la gaieté et même de
la froideur, vint moins souvent, mais ne put prendre sur elle de
cesser de voir le jeune malade.
Missirilli, brûlant d'amour, mais songeant à sa naissance
obscure et à ce qu'il se devait, s'était promis de ne descendre à
parler d'amour que si Vanina restait huit jours sans le voir.
L'orgueil de la jeune princesse combattit pied à pied. « Eh
bien ! se dit-elle enfin, si je le vois, c'est pour moi, c'est
pour me faire plaisir, et jamais je ne lui avouerai l'intérêt qu'il
m'inspire. » Elle faisait de longues visites à Missirilli, qui lui
parlait comme il eût pu faire si vingt personnes eussent été
présentes. Un soir, après avoir passé la journée à le détester et à
se bien promettre d'être avec lui encore plus froide et plus sévère
qu'à l'ordinaire, elle lui dit qu'elle l'aimait. Bientôt elle n'eut
plus rien à lui refuser.
Si sa folie fut grande, il faut avouer que Vanina fut
parfaitement heureuse. Missirilli ne songea plus à ce qu'il croyait
devoir à sa dignité d'homme ; il aima comme on aime pour la
première fois à dix-neuf ans et en Italie. Il eut tous les
scrupules de l'amour-passion, jusqu'au point d'avouer à cette jeune
princesse si fière la politique dont il avait fait usage pour s'en
faire aimer. Il était étonné de l'excès de son bonheur. Quatre mois
passèrent bien vite. Un jour, le chirurgien rendit la liberté à son
malade. « Que vais-je faire ? pensa Missirilli ; rester
caché chez une des plus belles personnes de Rome ? Et les vils
tyrans qui m'ont tenu treize mois en prison sans me laisser voir la
lumière du jour croiront m'avoir découragé ! Italie, tu es
vraiment malheureuse, si tes enfants t'abandonnent pour si
peu ! »
Vanina ne doutait pas que le plus grand bonheur de Pietro ne fût
de lui rester attaché ; il semblait trop heureux ; mais
un mot du général Bonaparte retentissait amèrement dans l'âme de ce
jeune homme et influençait toute sa conduite à l'égard des femmes.
En 1796, comme le général Bonaparte quittait Brescia, les
municipaux qui l'accompagnaient à la porte de la ville lui disaient
que les Bressans aimaient la liberté par-dessus tous les autres
Italiens. – Oui, dit-il, ils aiment à en parler à leurs
maîtresses.
Missirilli dit à Vanina d'un air assez contraint :
– Dès que la nuit sera venue, il faut que je sorte.
– Aie bien soin de rentrer au palais avant le point du
jour ; je t'attendrai.
– Au point du jour je serai à plusieurs milles de Rome.
– Fort bien, dit Vanina froidement, et où irez-vous ?
– En Romagne, me venger.
– Comme je suis riche, reprit Vanina de l'air le plus
tranquille, j'espère que vous accepterez de moi des armes et de
l'argent.
Missirilli la regarda quelques instants sans sourciller ;
puis se jetant dans ses bras :
– Ame de ma vie, tu me fais tout oublier, lui dit-il, et même
mon devoir. Mais plus ton cœur est noble, plus tu dois me
comprendre.
Vanina pleura beaucoup, et il fut convenu qu'il ne quitterait
Rome que le surlendemain.
– Pietro, lui dit-elle le lendemain, souvent vous m'avez dit
qu'un homme connu, qu'un prince romain, par exemple, qui pourrait
disposer de beaucoup d'argent, serait en état de rendre les plus
grands services à la cause de la liberté, si jamais l'Autriche est
engagée loin de nous, dans quelque grande guerre.
– Sans doute, dit Pietro étonné.
– Eh bien ! vous avez du cœur ; il ne vous manque
qu'une haute position ; je viens vous offrir ma main et deux
cent mille livres de rentes. Je me charge d'obtenir le consentement
de mon père.
Pietro se jeta à ses pieds ; Vanina était rayonnante de
joie.
– Je vous aime avec passion, lui dit-il ; mais je suis un
pauvre serviteur de la patrie ; mais plus l'Italie est
malheureuse, plus je dois lui rester fidèle. Pour obtenir le
consentement de don Asdrubale, il faudra jouer un triste rôle
pendant plusieurs années. Vanina, je te refuse.
Missirilli se hâta de s'engager par ce mot. Le courage allait
lui manquer.
– Mon malheur, s'écria-t-il, c'est que je t'aime plus que la
vie, c'est que quitter Rome est pour moi le pire des supplices.
Ah ! que l'Italie n'est-elle délivrée des barbares ! Avec
quel plaisir je m'embarquerais avec toi pour aller vivre en
Amérique.
Vanina restait glacée. Ce refus de sa main avait étonné son
orgueil ; mais bientôt elle se jeta dans les bras de
Missirilli.
– Jamais tu ne m'as semblé aussi aimable, s'écria-t-elle ;
oui, mon petit chirurgien de campagne, je suis à toi pour toujours.
Tu es un grand homme comme nos anciens Romains.
Toutes les idées d'avenir, toutes les tristes suggestions du bon
sens disparurent ; ce fut un instant d'amour parfait. Lorsque
l'on put parler raison :
– Je serai en Romagne presque aussitôt que toi, dit Vanina. Je
vais me faire ordonner les bains de la Poretta. Je m'arrêterai au
château que nous avons à San Nicolô près de Forli…
– Là, je passerai ma vie avec toi ! s'écria Missirilli.
– Mon lot désormais est de tout oser, reprit Vanina avec un
soupir. Je me perdrai pour toi, mais n'importe… Pourras-tu aimer
une fille déshonorée ?
– N'es-tu pas ma femme, dit Missirilli, et une femme à jamais
adorée ? Je saurai t'aimer et te protéger.
Il fallait que Vanina allât dans le monde. A peine eût-elle
quitté Missirilli, qu'il commença à trouver sa conduite
barbare.
« Qu'est-ce que la patrie ? se dit-il. Ce n'est pas un être
à qui nous devions de la reconnaissance pour un bienfait, et qui
soit malheureux et puisse nous maudire si nous y manquons. La
patrie et la liberté, c'est comme mon manteau, c'est une chose qui
m'est utile, que je dois acheter, il est vrai, quand je ne l'ai pas
reçue en héritage de mon père ; mais enfin j'aime la patrie et
la liberté, parce que ces deux choses me sont utiles. Si je n'en ai
que faire, si elles sont pour moi comme un manteau au mois d'août,
à quoi bon les acheter, et un prix énorme ? Vanina est si
belle ! elle a un génie si singulier ! On cherchera à lui
plaire ; elle m'oubliera. Quelle est la femme qui n'a jamais
eu qu'un amant ? Ces princes romains que je méprise comme
citoyens, ont tant d'avantages sur moi ! Ils doivent être bien
aimables ! Ah, si je pars, elle m'oublie, et je la perds pour
jamais. »
Au milieu de la nuit, Vanina vint le voir ; il lui dit
l'incertitude où il venait d'être plongé, et la discussion à
laquelle, parce qu'il l'aimait, il avait livré ce grand mot de
patrie. Vanina était bien heureuse.
« S'il devait choisir absolument entre la patrie et moi, se
disait-elle, j'aurais la préférence. »
L'horloge de l'église voisine sonna trois heures ; le
moment des derniers adieux arrivait. Pietro s'arracha des bras de
son amie. Il descendait déjà le petit escalier, lorsque Vanina,
retenant ses larmes, lui dit en souriant :
– Si tu avais été soigné par une pauvre femme de la campagne, ne
ferais-tu rien pour la reconnaissance ? Ne chercherais-tu pas
à la payer ? L'avenir est incertain, tu vas voyager au milieu
de tes ennemis : donne-moi trois jours par reconnaissance, comme si
j'étais une pauvre femme, et pour me payer de mes soins.
Missirilli resta. Et enfin il quitta Rome. Grâce à un passeport
acheté d'une ambassade étrangère, il arriva dans sa famille. Ce fut
une grande joie ; on le croyait mort. Ses amis voulurent
célébrer sa bienvenue en tuant un carabinier ou deux (c'est le nom
que portent les gendarmes dans les Etats du pape).
– Ne tuons pas sans nécessité un Italien qui sait le maniement
des armes, dit Missirilli ; notre patrie n'est pas une île
comme l'heureuse Angleterre : c'est de soldats que nous manquons
pour résister à l'intervention des rois de l'Europe.
Quelques temps après, Missirilli, serré de près par les
carabiniers, en tua deux avec les pistolets que Vanina lui avait
donnés. On mit sa tête à prix.
Vanina ne paraissait pas en Romagne : Missirilli se crut oublié.
Sa vanité fut choquée ; il commençait à songer beaucoup à la
différence de rang qui le séparait de sa maîtresse. Dans un moment
d'attendrissement et de regret du bonheur passé, il eut l'idée de
retourner à Rome voir ce que faisait Vanina. Cette folle pensée
allait l'emporter sur ce qu'il croyait être son devoir, lorsqu'un
soir la cloche d'une église de la montagne sonna l'Angelus d'une
façon singulière, et comme si le sonneur avait une distraction.
C'était un signal de réunion pour la vente de carbonari à laquelle
Missirilli s'était affilié en arrivant en Romagne. La même nuit,
tous se trouvèrent à un certain ermitage dans les bois. Les deux
ermites, assoupis par l'opium, ne s'aperçurent nullement de l'usage
auquel servait leur petite maison. Missirilli qui arrivait fort
triste, apprit là que le chef de la vente avait été arrêté, et que
lui, jeune homme à peine âgé de vingt ans, allait être élu chef
d'une vente qui comptait des hommes de plus de cinquante ans, et
qui étaient dans les conspirations depuis l'exécution de Murat en
1815. En recevant cet honneur inespéré, Pietro sentit battre son
cœur. Dès qu'il fut seul, il résolut de ne plus songer à la jeune
Romaine qui l'avait oublié, et de consacrer toutes ses pensées au
devoir de délivrer l'Italie des barbares.
Deux jours après, Missirilli vit dans le rapport des arrivées et
des départs qu'on lui adressait, comme chef de vente, que la
princesse Vanina venait d'arriver à son château de San Nicolô. La
lecture de ce nom jeta plus de trouble que de plaisir dans son âme.
Ce fut en vain qu'il crut assurer sa fidélité à la patrie en
prenant sur lui de ne pas voler le soir même au château de San
Nicolô ; l'idée de Vanina, qu'il négligeait, l'empêcha de
remplir ses devoirs d'une façon raisonnable. Il la vit le
lendemain ; elle l'aimait comme à Rome. Son père, qui voulait
la marier, avait retardé son départ. Elle apportait deux mille
sequins. Ce secours imprévu servit merveilleusement à accréditer
Missirilli dans sa nouvelle dignité. On fit fabriquer des poignards
à Corfou ; on gagna le secrétaire intime du légat, chargé de
poursuivre les carbonari. On obtint ainsi la liste des curés qui
servaient d'espions au gouvernement.
C'est à cette époque que finit de s'organiser l'une des moins
folles conspirations qui aient été tentées dans la malheureuse
Italie. Je n'entrerai point ici dans des détails déplacés. Je me
contenterai de dire que si le succès eût couronné l'entreprise,
Missirilli eût pu réclamer une bonne part de la gloire. Par lui,
plusieurs milliers d'insurgés se seraient levés à un signal donné,
et auraient attendu en armes l'arrivée des chefs supérieurs. Le
moment décisif approchait, lorsque, comme cela arrive toujours, la
conspiration fut paralysée par l'arrestation des chefs.
A peine arrivée en Romagne, Vanina crut voir que l'amour de la
patrie ferait oublier à son amant tout autre amour. La fierté de la
jeune Romaine s'irrita. Elle essaya en vain de se raisonner ;
un noir chagrin s'empara d'elle : elle se surprit à maudire la
liberté. Un jour qu'elle était venue à Forli pour voir Missirilli,
elle ne fut pas maîtresse de sa douleur, que toujours jusque-là son
orgueil avait su maîtriser.
– En vérité, lui dit-elle, vous m'aimez comme un mari ; ce
n'est pas mon compte.
Bientôt ses larmes coulèrent ; mais c'était de honte de
s'être abaissée jusqu'aux reproches. Missirilli répondit à ces
larmes en homme préoccupé. Tout à coup Vanina eut l'idée de le
quitter et de retourner à Rome. Elle trouva une joie cruelle à se
punir de la faiblesse qui venait de la faire parler. Au bout de peu
d'instants de silence, son parti fut pris ; elle se fût
trouvée indigne de Missirilli si elle ne l'eût pas quitté. Elle
jouissait de sa surprise douloureuse quand il la chercherait en
vain auprès de lui. Bientôt l'idée de n'avoir pu obtenir l'amour de
l'homme pour qui elle avait fait tant de folies l'attendrit
profondément. Alors elle rompit le silence, et fit tout au monde
pour lui arracher une parole d'amour. Il lui dit d'un air distrait
des choses fort tendres ; mais ce fut avec un accent bien
autrement profond qu'en parlant de ses entreprises politiques, il
s'écria avec douleur :
– Ah ! si cette affaire-ci ne réussit pas, si le
gouvernement la découvre encore, je quitte la partie.
Vanina resta immobile. Depuis une heure, elle sentait qu'elle
voyait son amant pour la dernière fois. Le mot qu'il prononçait
jeta une lumière fatale dans son esprit. Elle se dit : « Les
carbonari ont reçu de moi plusieurs milliers de sequins. On ne peut
douter de mon attachement à la conspiration. »
Vanina ne sortit de sa rêverie que pour dire à Pietro :
– Voulez-vous venir passer vingt-quatre heures avec moi au
château de San Nicolô ? Votre assemblée de ce soir n'a pas
besoin de ta présence. Demain matin, à San Nicolô, nous pourrons
nous promener ; cela calmera ton agitation et te rendra tout
le sang-froid dont tu as besoin dans ces grandes circonstances.
Pietro y consentit.
Vanina le quitta pour les préparatifs du voyage, en fermant à
clef, comme de coutume la petite chambre où elle l'avait caché.
Elle courut chez une des femmes de chambre qui l'avait quittée
pour se marier et prendre un petit commerce à Forli. Arrivée chez
cette femme, elle écrivit à la hâte à la marge d'un livre d'Heures
qu'elle trouva dans sa chambre, l'indication exacte du lieu où la
vente des carbonari devait se réunir cette nuit-là même. Elle
termina sa dénonciation par ces mots : « Cette vente est composée
de dix-neuf membres ; voici leurs noms et leurs adresses. »
Après avoir écrit cette liste, très exacte à cela près que le nom
de Missirilli était omis, elle dit à la femme, dont elle était sûre
:
– Porte ce livre au cardinal-légat ; qu'il lise ce qui est
écrit et qu'il te rende le livre. Voici dix sequins ; si
jamais le légat prononce ton nom, la mort est certaine ; mais
tu me sauves la vie si tu fais lire au légat la page que je viens
d'écrire.
Tout se passa à merveille. La peur du légat fit qu'il ne se
conduisit point en grand seigneur. Il permit à la femme du peuple
qui demandait à lui parler de ne paraître devant lui que masquée,
mais à condition qu'elle aurait les mains liées. En cet état, la
marchande fut introduite devant le grand personnage, qu'elle trouva
retranché derrière une immense table, couverte d'un tapis vert.
Le légat lut la page du livre d'Heures, en le tenant fort loin
de lui, de peur d'un poison subtil. Il le rendit à la marchande, et
ne la fit point suivre. Moins de quarante minutes après avoir
quitté son amant, Vanina, qui avait vu revenir son ancienne femme
de chambre, reparut devant Missirilli, croyant que désormais il
était tout à elle. Elle lui dit qu'il y avait un mouvement
extraordinaire dans la ville ; on remarquait des patrouilles
de carabiniers dans les rues où ils ne venaient jamais.
– Si tu veux m'en croire, ajouta-t-elle, nous partirons à
l'instant même pour San Nicolô.
Missirilli y consentit. Ils gagnèrent à pied la voiture de la
jeune princesse, qui, avec sa dame de compagnie, confidente
discrète et bien payée, l'attendait à une demi-lieue de la
ville.
Arrivée au château de San Nicolô, Vanina, troublée par son
étrange démarche, redoubla de tendresse pour son amant. Mais en lui
parlant d'amour, il lui semblait qu'elle jouait la comédie. La
veille, en trahissant, elle avait oublié le remords. En serrant son
amant dans ses bras, elle se disait : « Il y a un certain mot qu'on
peut lui dire, et ce mot prononcé, à l'instant et pour toujours, il
me prend en horreur. »
Au milieu de la nuit, un des domestiques de Vanina entra
brusquement dans sa chambre. Cet homme était carbonaro sans qu'elle
s'en doutât. Missirilli avait donc des secrets pour elle, même pour
ces détails. Elle frémit. Cet homme venait d'avertir Missirilli que
dans la nuit, à Forli, les maisons de dix-neuf carbonari avaient
été cernées, et eux arrêtés au moment où ils revenaient de la
vente. Quoique pris à l'improviste, neuf s'étaient échappés. Les
carabiniers avaient pu conduire dix dans la prison de la citadelle.
En y entrant, l'un d'eux s'était jeté dans le puits, si profond, et
s'était tué. Vanina perdit contenance ; heureusement Pietro ne
la remarqua pas : il eût pu lire son crime dans ses yeux.
Dans ce moment, ajouta le domestique, la garnison de Forli forme
une file dans toutes les rues. Chaque soldat est assez rapproché de
son voisin pour lui parler. Les habitants ne peuvent traverser d'un
côté de la rue à l'autre, que là où un officier est placé.
Après la sortie de cet homme, Pietro ne fut pensif qu'un instant
:
– Il n'y a rien à faire pour le moment, dit-il enfin.
Vanina était mourante ; elle tremblait sous les regards de
son amant.
– Qu'avez-vous donc d'extraordinaire ? lui dit-il.
Puis il pensa à autre chose, et cessa de la regarder.
Vers le milieu de la journée, elle se hasarda à lui dire :
– Voilà encore une vente de découverte ; je pense que vous
allez être tranquille pour quelque temps.
– Très tranquille, répondit Missirilli avec un sourire qui la
fit frémir.
Elle alla faire une visite indispensable au curé du village de
San Nicolô, peut-être espion des jésuites. En rentrant pour dîner à
sept heures, elle trouva déserte la petite chambre où son amant
était caché. Hors d'elle-même, elle courut le chercher dans toute
la maison ; il n'y était point. Désespérée, elle revint dans
cette petite chambre, ce fut alors seulement qu'elle vit un
billet ; elle lut : « Je vais me rendre prisonnier au légat :
je désespère de notre cause ; le ciel est contre nous. Qui
nous a trahis ? Apparemment le misérable qui s'est jeté dans
le puits. Puisque ma vie est inutile à la pauvre Italie, je ne veux
pas que mes camarades, en voyant que, seul, je ne suis pas arrêté,
puissent se figurer que je les ai vendus. Adieu, si vous m'aimez,
songez à me venger. Perdez, anéantissez l'infâme qui nous a trahis,
fut-ce mon père. »
Vanina tomba sur une chaise, à demi évanouie et plongée dans le
malheur le plus atroce. Elle ne pouvait proférer aucune
parole ; ses yeux étaient secs et brûlants.
Enfin elle se précipita à genoux :
– Grand Dieu ! s'écria-t-elle, recevez mon vœu ; oui,
je punirai l'infâme qui a trahi ; mais auparavant il faut
rendre la liberté à Pietro.
Une heure après, elle était en route pour Rome. Depuis longtemps
son père la pressait de revenir. Pendant son absence, il avait
arrangé son mariage avec le prince Livio Savelli. A peine Vanina
fut-elle arrivée, qu'il lui en parla en tremblant. A son grand
étonnement, elle consentit dès le premier mot. Le soir même, chez
la comtesse Vitteleschi, son père lui présenta presque
officiellement don Livio ; elle lui parla beaucoup. C'était le
jeune homme le plus élégant et qui avait les plus beaux
chevaux ; mais quoiqu'on lui reconnût beaucoup d'esprit, son
caractère passait pour tellement léger, qu'il n'était nullement
suspect au gouvernement. Vanina pensa qu'en lui faisant d'abord
tourner la tête, elle en ferait un agent commode. Comme il était
neveu de monsignor Savelli-Catanzara, gouverneur de Rome et
ministre de la police, elle supposait que les espions n'oseraient
le suivre.
Après avoir fort bien traité, pendant quelques jours, l'aimable
don Livio, Vanina lui annonça que jamais il ne serait son
époux ; il avait, suivant elle, la tête trop légère.
– Si vous n'étiez pas un enfant, lui dit-elle, les commis de
votre oncle n'auraient pas de secrets pour vous. Par exemple, quel
parti prend-on à l'égard des carbonari découverts récemment à
Forli ?
Don Livio vint lui dire, deux jours après, que tous les
carbonari pris à Forli s'étaient évadés. Elle arrêta sur lui ses
grands yeux noirs avec le sourire amer du plus profond mépris, et
ne daigna pas lui parler de toute la soirée. Le surlendemain, don
Livio vint lui avouer, en rougissant, que d'abord on l'avait
trompé.
– Mais, lui dit-il, je me suis procuré une clef du cabinet de
mon oncle ; j'ai vu par les papiers que j'y ai trouvés qu'une
congrégation (ou commission), composée des cardinaux et des prélats
les plus en crédit, s'assemble dans le plus grand secret, et
délibère sur la question de savoir s'il convient de juger ces
carbonari à Ravenne ou à Rome. Les neuf carbonari pris à Forli, et
leur chef, un nommé Missirilli, qui a eu la sottise de se rendre,
sont en ce moment détenus au château de San Leo.
A ce mot de sottise, Vanina pinça le prince de toute sa
force.
– Je veux moi-même, lui dit-elle, voir les papiers officiels et
entrer avec vous dans le cabinet de votre oncle ; vous aurez
mal lu.
A ces mots, don Livio frémit ; Vanina lui demandait une
chose presque impossible ; mais le génie bizarre de cette
jeune fille redoublait son amour. Peu de jours après, Vanina,
déguisée en homme et portant un joli petit habit à la livrée de la
casa Savelli, put passer une demi-heure au milieu des papiers les
plus secrets du ministre de la police. Elle eut un moment de vif
bonheur, lorsqu'elle découvrit le rapport journalier du prévenu
Pietro Missirilli. Ses mains tremblaient en tenant ce papier. En
relisant son nom, elle fut sur le point de se trouver mal. Au
sortie du palais du gouverneur de Rome, Vanina permit à don Livio
de l'embrasser.
– Vous vous tirez bien, lui dit-elle, des épreuves auxquelles je
veux vous soumettre.
Après un tel mot, le jeune prince eût mis le feu au Vatican pour
plaire à Vanina. Ce soir-là, il y avait bal chez l'ambassadeur de
France ; elle dansa beaucoup et presque toujours avec lui. Don
Livio était ivre de bonheur, il fallait l'empêcher de
réfléchir.
– Mon père est quelquefois bizarre, lui dit un jour Vanina, il a
chassé ce matin deux de ses gens qui sont venus pleurer chez moi.
L'un m'a demandé d'être placé chez votre oncle le gouverneur de
Rome ; l'autre qui a été soldat d'artillerie sous les
Français, voudrait être employé au château Saint-Ange.
– Je les prends tous les deux à mon service, dit vivement le
jeune prince.
– Est-ce là ce que je vous demande ? répliqua fièrement
Vanina. Je vous répète textuellement la prière de ces pauvres
gens ; ils doivent obtenir ce qu'ils ont demandé, et pas autre
chose.
Rien de plus difficile. Monsignor Catanzara n'était rien moins
qu'un homme léger, et n'admettait dans sa maison que des gens de
lui bien connus. Au milieu d'une vie remplie, en apparence, par
tous les plaisirs, Vanina, bourrelée de remords, était fort
malheureuse. La lenteur des événements la tuait. L'homme d'affaires
de son père lui avait procuré de l'argent. Devait-elle fuir la
maison paternelle et aller en Romagne essayer de faire évader son
amant ? Quelque déraisonnable que fût cette idée, elle était
sur le point de la mettre à exécution lorsque le hasard eut pitié
d'elle.
Don Livio lui dit :
– Les dix carbonari de la vente Missirilli vont être transférés
à Rome, sauf à être exécutés en Romagne, après leur condamnation.
Voilà ce que mon oncle vient d'obtenir du pape ce soir. Vous et moi
sommes les seuls dans Rome qui sachions ce secret. Etes-vous
contente ?
– Vous devenez un homme, répondit Vanina ; faites-moi
cadeau de votre portrait.
La veille du jour où Missirilli devait arriver à Rome, Vanina
prit un prétexte pour aller à Citta-Castellana. C'est dans la
prison de cette ville que l'on fait coucher les carbonari que l'on
transfère de la Romagne à Rome. Elle vit Missirilli le matin, comme
il sortait de la prison : il était enchaîné seul sur une
charrette ; il lui parut fort pâle, mais nullement découragé.
Une vieille femme lui jeta un bouquet de violettes, Missirilli
sourit en la remerciant.
Vanina avait vu son amant, toutes ses pensées semblèrent
renouvelées ; elle eut un nouveau courage. Dès longtemps elle
avait fait obtenir un bel avancement à M. l'abbé Cari, aumônier du
château Saint-Ange, où son amant allait être enfermé ; elle
avait pris ce bon prêtre pour confesseur. Ce n'est pas peu de chose
à Rome que d'être confesseur d'une princesse, nièce du
gouverneur.
Le procès des carbonari de Forli ne fut pas long. Pour se venger
de leur arrivée à Rome, qu'il n'avait pu empêcher, le parti ultra
fit composer la commission qui devait les juger des prélats les
plus ambitieux. Cette commission fut présidée par le ministre de la
police.
La loi contre les carbonari est claire : ceux de Forli ne
pouvaient conserver leur vie par tous les subterfuges possibles.
Non seulement leurs juges les condamnèrent à mort, mais plusieurs
opinèrent pour des supplices atroces, le poing coupé, etc. Le
ministre de la police dont la fortune était faite (car on ne quitte
cette place que pour prendre le chapeau), n'avait nul besoin de
poing coupé ; en portant la sentence au pape, il fit commuer
en quelques années de prison la peine de tous les condamnés. Le
seul Pietro Missirilli fut excepté. Le ministre voyait dans ce
jeune homme un fanatique dangereux, et d'ailleurs il avait aussi
été condamné à mort comme coupable de meurtre sur les deux
carabiniers dont nous avons parlé. Vanina sut la sentence et la
commutation peu d'instants après que le ministre fut revenu de chez
le pape.
Le lendemain, monsignor Catanzara rentra dans son palais vers le
minuit, il ne trouva point son valet de chambre ; le ministre,
étonné, sonna plusieurs fois ; enfin parut un vieux domestique
imbécile : le ministre, impatienté, prit le parti de se déshabiller
lui-même. Il ferma sa porte à clef ; il faisait fort chaud :
il prit son habit et le lança en paquet sur une chaise. Cet habit,
jeté avait trop de force, passa par-dessus la chaise, alla frapper
le rideau de mousseline de la fenêtre, et dessina la forme d'un
homme. Le ministre se jeta rapidement vers son lit et saisit un
pistolet. Comme il revenait près de la fenêtre, un fort jeune
homme, couvert de la livrée, s'approcha de lui le pistolet à la
main. A cette vue, le ministre approcha le pistolet de son
œil ; il allait tirer. Le jeune homme lui dit en riant :
– Eh quoi ! monseigneur, ne reconnaissez-vous pas Vanina
Vanini ?
– Que signifie cette mauvaise plaisanterie ? répliqua le
ministre en colère.
– Raisonnons froidement, dit la jeune fille. D'abord votre
pistolet n'est pas chargé.
Le ministre, étonné, s'assura du fait ; après quoi il tira
un poignard de la poche de son gilet.
Vanina lui dit avec un petit air d'autorité charmant :
– Asseyons-nous, monseigneur.
Et elle prit place tranquillement sur un canapé.
– Etes-vous seule au moins ? dit le ministre.
– Absolument seule, je vous le jure ! s'écria Vanina.
C'est ce que le ministre eut soin de vérifier : il fit le tour
de la chambre et regarda partout ; après quoi il s'assit sur
une chaise à trois pas de Vanina.
– Quel intérêt aurais-je, dit Vanina d'un air doux et
tranquille, d'attenter aux jours d'un homme modéré, qui
probablement serait remplacé par quelque homme faible à tête
chaude, capable de se perdre soi et les autres ?
– Que voulez-vous donc, mademoiselle ? dit le ministre avec
humeur. Cette scène ne me convient point et ne doit pas durer.
– Ce que je vais ajouter, reprit Vanina avec hauteur, et
oubliant tout à coup son air gracieux, importe à vous plus qu'à
moi. On veut que le carbonaro Missirilli ait la vie sauve : s'il
est exécuté, vous ne lui survivrez pas d'une semaine. Je n'ai aucun
intérêt à tout ceci ; la folie dont vous vous plaignez, je
l'ai faite pour m'amuser d'abord, et ensuite pour servir une de mes
amies. J'ai voulu, continua Vanina, en reprenant son air de bonne
compagnie, j'ai voulu rendre service à un homme d'esprit, qui
bientôt sera mon oncle, et doit porter loin, suivant toute
apparence, la fortune de sa maison.
Le ministre quitta l'air fâché : la beauté de Vanina contribua
sans doute à ce changement rapide. On connaissait dans Rome le goût
de monseigneur Catanzara pour les jolies femmes, et, dans son
déguisement en valet de pied de la casa Savelli, avec des bas de
soie bien tirés, une veste rouge, son petit habit bleu de ciel
galonné d'argent, et le pistolet à la main, Vanina était
ravissante.
– Ma future nièce, dit le ministre presque en riant, vous faites
là une haute folie, et ce ne sera pas la dernière.
– J'espère qu'un personnage aussi sage, répondit Vanina, me
gardera le secret, et surtout envers don Livio, et pour vous y
engager, mon cher oncle, si vous m'accordez la vie du protégé de
mon amie, je vous donnerai un baiser.
Ce fut en continuant la conversation sur ce ton de
demi-plaisanterie, avec lequel les dames romaines savent traiter
les plus grandes affaires, que Vanina parvint à donner à cette
entrevue, commencée le pistolet à la main, la couleur d'une visite
faite par la jeune princesse Savelli à son oncle le gouverneur de
Rome.
Bientôt monseigneur Catanzara, tout en rejetant avec hauteur
l'idée de s'en laisser imposer par la crainte, en fut à raconter à
sa nièce toutes les difficultés qu'il rencontrerait pour sauver la
vie de Missirilli. En discutant, le ministre se promenait dans la
chambre avec Vanina ; il prit une carafe de limonade qui était
sur la cheminée et en remplit un verre de cristal. Au moment où il
allait le porter à ses lèvres, Vanina s'en empara, et, après
l'avoir tenu quelque temps, le laissa tomber dans le jardin comme
par distraction. Un instant après, le ministre prit une pastille de
chocolat dans une bonbonnière, Vanina la lui enleva, et lui dit en
riant :
– Prenez donc garde, tout chez vous est empoisonné ; car on
voulait votre mort. C'est moi qui ai obtenu la grâce de mon oncle
futur, afin de ne pas entrer dans la famille Savelli absolument les
mains vides.
Monseigneur Catanzara, fort étonné, remercia sa nièce, et donna
de grandes espérances pour la vie de Missirilli.
– Notre marché est fait ! s'écria Vanina, et la preuve,
c'est qu'en voici la récompense ! dit-elle en
l'embrassant.
Le ministre prit la récompense.
– Il faut que vous sachiez, ma chère Vanina, ajouta-t-il, que je
n'aime pas le sang, moi. D'ailleurs, je suis jeune encore, quoique
peut-être je vous paraisse bien vieux, et je puis vivre à une
époque où le sang versé aujourd'hui fera tache.
Deux heures sonnaient quand monseigneur Catanzara accompagna
Vanina jusqu'à la petite porte de son jardin.
Le surlendemain, lorsque le ministre parut devant le pape, assez
embarrassé de la démarche qu'il avait à faire, Sa Sainteté lui dit
:
– Avant tout, j'ai une grâce à vous demander. Il y a un de ces
carbonari de Forli qui est resté condamné à mort ; cette idée
m'empêche de dormir : il faut sauver cet homme.
Le ministre, voyant que le pape avait pris son parti, fit
beaucoup d'objections, et finit par écrire un décret ou motu
proprio, que le pape signa, contre l'usage.
Vanina avait pensé que peut-être elle obtiendrait la grâce de
son amant, mais qu'on tenterait de l'empoisonner. Dès la veille,
Missirilli avait reçu de l'abbé Cari, son confesseur, quelques
petits paquets de biscuits de mer, avec l'avis de ne pas toucher
aux aliments fournis par l'Etat.
Vanina ayant su après que les carbonari de Forli allaient être
transférés au château de San Leo, voulut essayer de voir Missirilli
à son passage à Citta-Castellana ; elle arriva dans cette
ville vingt-quatre heures avant les prisonniers ; elle y
trouva l'abbé Cari, qui l'avait précédée de plusieurs jours. Il
avait obtenu du geôlier que Missirilli pourrait entendre la messe,
à minuit, dans la chapelle de la prison. On alla plus loin : si
Missirilli voulait consentir à se laisser lier les bras et les
jambes par une chaîne, le geôlier se retirerait vers la porte de la
chapelle, de manière à voir toujours le prisonnier, dont il était
responsable, mais à ne pouvoir entendre ce qu'il dirait.
Le jour qui devait décider du sort de Vanina parut enfin. Dès le
matin, elle s'enferma dans la chapelle de la prison. Qui pourrait
dire les pensées qui l'agitèrent durant cette longue journée ?
Missirilli l'aimait-elle assez pour lui pardonner ? Elle avait
dénoncé sa vente, mais elle lui avait sauvé la vie. Quand la raison
prenait le dessus dans cette âme bourrelée, Vanina espérait qu'il
voudrait consentir à quitter l'Italie avec elle : si elle avait
péché, c'était par excès d'amour. Comme quatre heures sonnaient,
elle entendit de loin, sur le pavé les pas des chevaux des
carabiniers. Le bruit de chacun de ces pas semblait retentir dans
son cœur. Bientôt elle distingua le roulement des charrettes qui
transportaient les prisonniers. Elles s'arrêtèrent sur la petite
place devant la prison ; elle vit deux carabiniers soulever
Missirilli, qui était seul sur une charrette, et tellement chargé
de fers qu'il ne pouvait se mouvoir. « Du moins il vit, se dit-elle
les larmes aux yeux, ils ne l'ont pas encore empoisonné ! » La
soirée fut cruelle ; la lampe de l'autel, placée à une grande
hauteur, et pour laquelle le geôlier épargnait l'huile, éclairait
seule cette chapelle sombre. Les yeux de Vanina erraient sur les
tombeaux de quelques grands seigneurs du Moyen Age morts dans la
prison voisine. Leurs statues avaient l'air féroce.
Tous les bruits avaient cessé depuis longtemps ; Vanina
était absorbée dans ses noires pensées. Un peu après que minuit eut
sonné, elle crut entendre un bruit léger comme le vol d'une
chauve-souris. Elle voulut marcher, et tomba à demi évanouie sur la
balustrade de l'autel. Au même instant, deux fantômes se trouvèrent
tout près d'elle, sans qu'elle les eût entendu venir. C'étaient le
geôlier et Missirilli chargé de chaînes, au point qu'il en était
comme emmailloté. Le geôlier ouvrit une lanterne, qu'il posa sur la
balustrade de l'autel, à côté de Vanina, de façon à ce qu'il pût
bien voir son prisonnier. Ensuite il se retira dans le fond, près
de la porte. A peine le geôlier se fut-il éloigné que Vanina se
précipita au cou de Missirilli. En le serrant dans ses bras, elle
ne sentit que ses chaînes froides et pointues. « Qui les lui a
données ces chaînes ? » pensa-t-elle. Elle n'eut aucun plaisir
à embrasser son amant. A cette douleur en succéda une autre plus
poignante ; elle crut un instant que Missirilli savait son
crime, tant son accueil fut glacé.
– Chère amie, lui dit-il enfin, je regrette l'amour que vous
avez pris pour moi ; c'est en vain que je cherche le mérite
qui a pu vous l'inspirer. Revenons, croyez-m'en, à des sentiments
plus chrétiens, oublions les illusions qui jadis nous ont
égarés ; je ne puis vous appartenir. Le malheur constant qui a
suivi mes entreprises vient peut-être de l'état de péché mortel où
je me suis constamment trouvé. Même à n'écouter que les conseils de
la prudence humaine, pourquoi n'ai-je pas été arrêté avec mes amis,
lors de la fatale nuit de Forli ? Pourquoi, à l'instant du
danger, ne me trouvais-je pas à mon poste ? Pourquoi mon
absence a-t-elle pu autoriser les soupçons les plus cruels ?
J'avais une autre passion que celle de la liberté de l'Italie.
Vanina ne revenait pas de la surprise que lui causait le
changement de Missirilli. Sans être sensiblement maigri, il avait
l'air d'avoir trente ans. Vanina attribua ce changement aux mauvais
traitements qu'il avait soufferts en prison, elle fondit en
larmes.
– Ah, lui dit-elle, les geôliers avaient tant promis qu'ils te
traiteraient avec bonté.
Le fait est qu'à l'approche de la mort, tous les principes
religieux qui pouvaient s'accorder avec la passion pour la liberté
de l'Italie avaient reparu dans le cœur du jeune carbonaro. Peu à
peu Vanina s'aperçut que le changement étonnant qu'elle remarquait
chez son amant était tout moral, et nullement l'effet de mauvais
traitements physiques. Sa douleur, qu'elle croyait au comble, en
fut encore augmentée.
Missirilli se taisait ; Vanina semblait sur le point d'être
étouffée par les sanglots. Il ajouta d'un air un peu ému lui-même
:
– Si j'aimais quelque chose sur la terre, ce serait vous,
Vanina ; mais grâce à Dieu, je n'ai plus qu'un seul but dans
ma vie : je mourrai en prison, ou en cherchant à donner la liberté
à l'Italie.
Il y eut encore un silence ; évidemment Vanina ne pouvait
parler : elle l'essayait en vain. Missirilli ajouta :
– Le devoir est cruel, mon amie ; mais s'il n'y avait pas
un peu de peine à l'accomplir, où serait l'héroïsme ?
Donnez-moi votre parole que vous ne chercherez plus à me voir.
Autant que sa chaîne assez serrée le lui permettait, il fit un
petit mouvement du poignet, et tendit les doigts à Vanina.
– Si vous permettez un conseil à un homme qui vous fut cher,
mariez-vous sagement à l'homme de mérite que votre père vous
destine. Ne lui faites aucune confidence fâcheuse ; mais, d'un
autre côté, ne cherchez jamais à me revoir ; soyons désormais
étrangers l'un à l'autre. Vous avez avancé une somme considérable
pour le service de la patrie ; si jamais elle est délivrée de
ses tyrans, cette somme vous sera fidèlement payée en biens
nationaux.
Vanina était atterrée. En lui parlant, l'œil de Pietro n'avait
brillé qu'au moment où il avait nommé la patrie.
Enfin l'orgueil vint au secours de la jeune princesse ;
elle s'était munie de diamants et de petites limes. Sans répondre à
Missirilli, elle les lui offrit.
– J'accepte par devoir, lui dit-il, car je dois chercher à
m'échapper ; mais je ne vous verrai jamais, je le jure en
présence de vos nouveaux bienfaits. Adieu, Vanina ;
promettez-moi de ne jamais m'écrire, de ne jamais chercher à me
voir ; laissez-moi tout à la patrie, je suis mort pour vous :
adieu.
– Non, reprit Vanina furieuse, je veux que tu saches ce que j'ai
fait guidée par l'amour que j'avais pour toi.
Alors elle lui raconta toutes les démarches depuis le moment où
Missirilli avait quitté le château de San Nicolô, pour aller se
rendre au légat. Quand ce récit fut terminé :
– Tout cela n'est rien, dit Vanina : j'ai fait plus, par amour
pour toi.
Alors elle lui dit sa trahison.
– Ah ! monstre, s'écria Pietro furieux, en se jetant sur
elle, et il cherchait à l'assommer avec ses chaînes.
Il y serait parvenu sans le geôlier qui accourut aux premiers
cris. Il saisit Missirilli.
– Tiens, monstre, je ne veux rien te devoir, dit Missirilli à
Vanina, en lui jetant, autant que ses chaînes le lui permettaient,
les limes et les diamants, et il s'éloigna rapidement.
Vanina resta anéantie. Elle revint à Rome ; et le journal
annonce qu'elle vient d'épouser le prince don Livio Savelli.
Vous avez aimé ce livre ?
Nos utilisateurs ont aussi téléchargés
Stendhal
L'abbesse de
Castro
Stendhal
La Duchesse de
Palliano
Stendhal
Le Coffre et
le Revenant
Stendhal
Les
Cenci
Stendhal
Trop de Faveur
Tue
Stendhal
Vittoria
Accoramboni
Stendhal
San Francesco
a Ripa
Stendhal
Armance
Octave de Malivert sort de Polytechnique. Il est jeune,
brillant, élégant mais son caractère étrange inquiète sa mère.
Celle-ci l'invite à fréquenter le salon de mandame de Malivert pour
le sortir de son isolement. Il y retrouve sa cousine, Armance de
Zohiloff. Mais si la «loi d'indemnité» qui vient d'être votée pour
indemniser les nobles s'estimant spoliés par la révolution fait
d'Octave un parti intéressant, Armance semble rester insensible aux
attraits du jeune homme. Octave réalise qu'il est amoureux
d'Armance, malgré sa volonté et le serment qu'il s'est fait de ne
jamais aimer. Derrière ce comportement étange, il y a le mal
d'Octave, condamné au seul amour platonique...
Stendhal
Suora
scolastica
Stendhal
La Chartreuse
de Parme
À Parme, l'ombre de la chartreuse s'étend sur la cour et sur les
intrigues aristocratiques des quelques happy few qui l'animent :
Gina la belle duchesse, le comte Mosca, mais surtout le jeune
Fabrice del Dongo, qui suscite l'amour de tous ceux qui le
croisent. Comment ne pas l'aimer, ce jeune rêveur plein de grâce,
qui transfigure la réalité ? Mais lui, que tout le monde aime, qui
saura-t-il aimer ?
www.feedbooks.com Food for the mind
Ñïàñèáî, ÷òî ñêà÷àëè êíèãó â áåñïëàòíîé ýëåêòðîííîé áèáëèîòåêå BooksCafe.Net
Îñòàâèòü îòçûâ î êíèãå
Âñå êíèãè àâòîðà